Le présent article fait partie d’un ensemble de présentations – d’œuvres & d’auteurs de la doctrine publiciste – rédigées par le pr. Touzeil-Divina.

Sauf indication contraire, le texte reproduit ici est un extrait issu du Dictionnaire de droit public interne (Paris, LexisNexis ; 2017). Il n’est pas libre de droit(s) (plagiat toussa toussa).

Si l’on a pu dire de Santi Romano (1875-1947) qu’il était un génie (italien) mais un génie fasciste, il faut citer aux antipodes politiques de Romano, l’existence de Tullio Ascarelli (1903-1959), également italien et de génie. L’homme fut surtout connu – d’abord – des juristes privatistes comme spécialiste (qu’il fut effectivement) du droit commercial. Toutefois, outre ses écrits, cours et notes, spécialisés en droits du commerce et de la monnaie, l’auteur s’est également spécialisé non seulement en droit comparé mais aussi en théorie et en philosophie du Droit ce qui l’a conduit – notamment vis-à-vis du droit et de la jurisprudence constitutionnels – à émettre plusieurs propositions doctrinales en matière d’interprétation juridique (II). Toutefois, c’est d’abord le juriste de combat(s) qu’il faut présenter (I).

Né le 06 octobre 1903, à Rome, Tullio Ascarelli va y faire ses études juridiques et deviendra diplômé de l’Université romaine de La Sapienza où il étudie de 1919 à 1923. Quelques générations avant lui, sa famille (d’intellectuels et de tisserands) a fui l’Espagne lorsque les Juifs en furent chassés et son grand-père Tranquillo Ascarelli (1846-1895) fut d’ailleurs Président de l’Université hébraïque de Rome. Après avoir soutenu (en 1923) sa thèse consacrée à l’introduction, en Italie, de la société à responsabilité limitée, il est convoqué pour effectuer son service militaire. Dès 1925, il entame – à Ferrare – une carrière dans l’enseignement académique par le biais du droit commercial dont il deviendra rapidement un spécialiste reconnu – particulièrement s’agissant de ses études sur la monnaie et sur le crédit. Il est successivement recruté dans plusieurs établissements universitaires (à Parme, Padoue, Bologne, etc.) et est un auteur très prolixe. Avec la montée du fascisme, Ascarelli, à la différence de Romano, ne cautionne ni n’adhère au parti national mais – au contraire – rejoint les groupes résistants « non mollare » puis « Giustizia e Liberta » qu’il va animer en participant à de nombreuses actions comme avec l’évasion de Carlo Rosselli (1899-1937) maintenu sur l’île de Lipari où Mussolini (1883-1945) faisait emprisonner ses opposants politiques. Rosselli, le socialiste réformiste, évadé grâce à Ascarelli et les siens, ira par suite en France à Bagnoles-de-l’Orne où il sera malheureusement retrouvé et assassiné. Ascarelli, de même (juif et opposant politique) rejoindra la France (après un passage en Angleterre) puis le Brésil. A Paris, en 1940, il prépara même le concours d’agrégation au côté de Georges Ripert (1880-1958). Il revient en Italie à Bologne en 1947 puis à l’Université de Rome en 1953 ; il s’engage en politique et se consacre surtout à ses étudiants. Il y décède le 20 novembre 1959.

On l’a compris, Ascarelli ne fut pas qu’un commercialiste. Féru de langues (il parlait l’italien, l’anglais, le français, l’allemand, le portugais, le russe, l’espagnol, le roumain, l’hébreu, etc.), d’Histoire, de philosophie et de sciences exactes, il concevait le Droit comme un fait social devant être interprété en fonction de données extra juridiques telles que l’Histoire. On lui doit cette phrase de génie : « Hors de l’interprétation, il n’y a pas de norme ; il n’y a qu’un simple texte et c’est à partir de celui-ci [fait de potentialités] que par un processus d’interprétation – qu’il est impossible d’écarter – que la norme sera fixée à des fins d’application ». Toute la doctrine du maestro y est résumée : non seulement Ascarelli y affirme (ce qui était à l’époque une révolution) qu’il faut lutter contre le formalisme et ne pas tenir pour normatif un texte juridique qui n’est qu’un bouquet de potentialités normatives mais encore, osait-il affirmer que seul l’interprète serait le véritable auteur – volontaire – de la norme car il allait appliquer réellement celle-ci dans un cadre concret. C’est donc l’activité créatrice de l’interprète qu’il faut accepter et arrêter de nier car appliquer le Droit, résumait-il, c’est nécessairement l’interpréter ; les juristes étant – selon sa belle expression – non des juges mécaniques mais des magiciens. Pour l’auteur, le juge mais aussi la doctrine, étaient alors les deux interprètes les plus créatifs et il les comparait plus qu’il ne les opposait. Par ailleurs, Ascarelli avait su mener une réflexion (autour des personnages d’Antigone et de Portia) à la recherche du Juste ; recherche que ses années d’opposant politique avaient nourrie.

Op. :      Parmi de nombreux : Appunti di diritto commerciale (1931) ; Cambiale, assegno bancario, titoli di credito (1938) ; Istituzioni di diritto commerciale (1938) ; Derecho mercantil (1940) ; Saggi giuridici (1949) ; Sguardo sul Brasile (1949) ; Studi di diritto comparato e in tema di interpretazione (1952) ; La moneta (1952) ; Norma giuridica e realtà sociale (1955) ; Per uno studio della realtà giuridica effettuale (1956) ; Teoria della concorrenza e dei beni immateriali (1956).

Cit. :      « Fuori dell’interpretazione, non c’è norma ; c’è un mero testo ed è in funzione di questo che con un procedimento di interpretazione mai eliminabile, sarà fissata la norma ai fini di un’applicazione » (« Giurisprudenza costituzionale e teoria dell’interpretazione » in Rivista di diritto processuale ; 1957 ; n°3 ; p. 10 et s.).

Biblio. Bobbio Norberto, « L’itinerario di Tullio Ascarelli » in Studi in memoria di Tullio Ascarelli ; Milano, Giuffrè ; 1969 ; Crea Camilla, « What is to be done ? Tullio Ascarelli on the Theory of Legal Interpretation » in The Italian Law Journal ; 2015 ; Vol. I. ; n°02 ; p. 181 et s. ; Meroni Massimo, La teoria dell’interpretazione di (…) Ascarelli ; Milano, Giuffrè ; 1989 ; Rodota Stefano, « Ascarelli » in Dizionario Biografico degli Italiani ; 1962 ; Vol. IV ; Tunc André, « Nécrologie » in Revue internationale de droit comparé ; Vol. XII ; 1960 ; p. 238 et s.