Le présent article fait partie d’un ensemble de présentations – d’œuvres & d’auteurs de la doctrine publiciste – rédigées par le pr. Touzeil-Divina.

Sauf indication contraire, le texte reproduit ici est un extrait issu du Dictionnaire de droit public interne (Paris, LexisNexis ; 2017). Il n’est pas libre de droit(s) (plagiat toussa toussa).

Voici un auteur qui sent le soufre. Considéré par tous les juristes comme un quasi Dieu (ce à quoi son prénom de Santi va aider !), Santi Romano (1875-1947), le père du pluralisme juridique ou du Droit renouvelé était manifestement un génie juridique mais son exceptionnelle doctrine ne doit pas faire oublier sinon dissimuler (comme le font encore trop d’auteurs contemporains) le fait que l’homme fut Président du Conseil d’Etat italien de 1928 à 1944, c’est-à-dire exactement pendant l’avènement du Duce, Benito Mussolini (1883-1945), l’incarnation du fascisme italien. Santi Romano, professeur de Droit né à Palerme le 31 janvier 1875 et disciple du publiciste et homme d’Etat Vittorio Emanuele Orlando (1860-1952), fut donc certes un génie mais un génie fasciste. De son maître Orlando, Romano apprit énormément et fut rapidement convaincu des thèses libérales que ce dernier prônait. C’est ce qui pousse quelques auteurs à considérer Romano comme un opportuniste politique plutôt que comme un fasciste déterminé voire même, selon d’aucuns, non pas à l’instar d’un résistant mais d’un exceptionnel technicien ayant réussi, sous certains aspects, au cœur de l’appareil d’Etat fasciste à minorer – de l’intérieur – certaines atrocités commandées par ce régime totalitaire. A la chute du régime, une procédure républicaine d’épuration sera d’ailleurs ouverte contre lui afin d’y voir plus clair mais sa mort viendra y mettre un terme. De sa doctrine publiciste considérable, on retiendra deux aspects (I & II).

Romano cumula longtemps deux fonctions : enseignant et Conseiller d’Etat (et Président de cette institution). Il fut d’abord un spécialiste reconnu (et disciple en ce sens d’Orlando) en droit administratif avant d’être nommé professeur à l’Université de Camerino (1899-1902). Il enseigna par suite le droit constitutionnel à Modène (1902-1908), puis à Pise (1908-1924) et à Milan (1924-1928) avant de rejoindre la Sapienza de Rome (1928-1943) parallèlement à son activité au Conseil d’Etat. Romano fut ainsi un véritable publiciste généraliste s’intéressant aux deux versants – administratif et constitutionnel – de l’Etat (ainsi qu’au droit colonial en 1918) et singulièrement à la Nation qu’il mettait en avant dans ses écrits. Refusant le jusnaturalisme et le normativisme, l’auteur nous a laissé un exceptionnel Cours de droit constitutionnel dont la cinquième édition (1940) matérialise parfaitement toutes ses préférences (juridiques et politiques). Le Partito Nazionale Fascista (auquel il adhère en 1928) y est magnifié comme fait social substitué à l’ancien ordre juridique étatique et le fascisme construit sur l’autorité y est revendiqué autour du concept-clef de Nation. Par ailleurs, l’ouvrage reprend « les » théories phare de l’auteur : Institution et pluralisme des ordres juridiques.

Atteint de strabisme prononcé, Romano ne voyait pas comme les autres ce qui a peut-être influé sur sa vision du Droit ! Son œuvre se caractérise d’abord par un institutionnalisme positiviste, développé dans l’Ordinamento giuridico (1918). En y définissant l’institution, Romano se référa à Hauriou (1856-1929) mais il s’en détacha ensuite mettant en avant sa prétention à construire une théorie positiviste. Il tira alors toutes les conséquences de sa théorie en assimilant Institution et Ordonnancement juridique conférant par ce biais à la première un caractère objectif. Cette position institutionnaliste impliquait non de concevoir le Droit comme un système désincarné de normes mais comme une composante concrète de l’ordre social. L’institution – ou l’ordre juridique – était donc pour Romano un corps social empiriquement constitué, autonome, cohérent et structuré par un mécanisme d’organisation du pouvoir. Par suite, il considérait que tout groupe social organisé formait un ordonnancement ou ordre juridique ce qui impliquait nécessairement d’admettre le pluralisme desdits ordres tant supra, qu’infra étatiques. Pour lui, tout le Droit ne procéderait pas de l’Etat (jugé en crise et presque mort) ce qui était, pour l’époque (surtout fasciste) un propos révolutionnaire. Pour Romano, en conséquence, tout ordre social organisé sécréterait son propre droit. Ainsi, la famille, l’Eglise, les associations, les collectivités territoriales même, et plus généralement, l’ensemble des corps intermédiaires seraient-ils autant d’institutions infra ou transétatiques qui interagiraient avec l’Etat. Partant, Romano marquait son attachement aux idéaux catholiques et libéraux et valorisait l’action des corps intermédiaires. La question des rapports entre ordres juridiques sera par suite et pour lui prégnante et il la qualifiera de « relevance ». Etait alors pour lui « relevant » un ordre juridique reconnu comme tel par un autre. L’Etat pouvait donc reconnaître un ordre juridique totalement (comme l’institution communale), partiellement (comme pour des conventions collectives) ou à l’inverse le rejeter (comme avec la mafia).

Op. :    Lo Stato moderno e la sua crisi (1910) ; L’ordinamento giuridico (1918) ; Corso du diritto costituzionale (1940 ; 5 e éd.) ; Dizionario (1947) ; Diritto pubblico (1988).

Cit. :      « Le droit crée l’institution et la maintient en vie » ; « Il ne peut y avoir de droit avant ni hors l’institution » ; « J’ai (…) voulu faire entrer dans le monde juridique ce fait de l’ordre social que l’on tenait (…) pour antécédent au Droit » (1918).Biblio. Alvazzi del FratePaolo, « L’institutionnalisme juridique dans la doctrine italienne du XXe siècle (…) »inRhfd ; n° 32, 2012 ; Berge Jean-Sylvestre, Les ordres juridiques ; Paris, Dalloz ; 2015 ; Millard Eric, « Sur les théories italiennes de l’Institution » inContrat ou institution (…) ; Paris, Lgdj ; 2004 ; Ripepe Eugenio (dir.), Ricordando Santi Romano ; Pise, Pup ; 2013.