Le présent article fait partie d’un ensemble de présentations – d’œuvres & d’auteurs de la doctrine publiciste – rédigées par le pr. Touzeil-Divina.

Sauf indication contraire, le texte reproduit ici est un extrait issu du Dictionnaire de droit public interne (Paris, LexisNexis ; 2017). Il n’est pas libre de droit(s) (plagiat toussa toussa).

La vie du député à la Convention René Levasseur de la Sarthe (1747-1834) aurait et pourrait faire l’objet d’un film tellement elle fut romanesque et mouvementée (I). On a alors tenu à le présenter dans ce dictionnaire du droit public car c’est manifestement la notion d’Egalité (II) qui fut le moteur de toutes ses plus grandes actions.

Né à Sainte-Croix-les-Le-Mans le 27 mai 1747, René Levasseur avait pour père un tailleur d’habits, au cœur de la Bourgeoisie mancelle. Pourtant, il choisit de quitter la capitale sarthoise pour étudier la médecine à Paris et y devenir chirurgien-accoucheur. De retour au Mans en 1772, il ouvre un cours public et gratuit à destination des sages-femmes. On lui connaît deux épouses successives (après divorce consigné devant notaire le 1 er Prairial de l’an V (soit le 20 mai 1797)) et quatre enfants. Toutefois, plus encore que comme médecin, c’est comme député à la Convention Nationale (1792-1795) que Levasseur (envoyé – comme Sieyes (1748-1836) – par les électeurs de la Sarthe d’où son nom) va marquer les esprits et oser proposer, le premier, au côté et au soutien de Danton (1759-1794) la première abolition de l’esclavagisme alors pratiqué en France. Ainsi (contrairement à ce que l’on retient souvent en mentionnant Victor Schœlcher (1804-1893) et la Seconde République), c’est dès la Première République avec Levasseur qu’une revendication normative d’une telle abolition fut votée le 16 pluviôse an II (04 février 1794) sur tous les territoires de la République avant son abrogation napoléonienne en 1802. En outre, son nom fut associé à celui des maîtres de la Terreur conventionnelle parce qu’il accepta notamment d’y représenter le Comité de Salut Public en mission à Hondschoote, à Angers dans les Ardennes ou encore en Vendée (généralement, du reste, pour y repousser précisément des contre-révolutionnaires à l’instar des Vendéens). En conséquence, Levasseur après 1795 fut-il considéré comme traître et en fut mis aux arrêts. On l’accusa d’être « un éternel prédicateur de révoltes » suite aux manifestations dites de Germinal et il se constitua du reste lui-même prisonnier au nom du respect pour ses idéaux et pour le peuple français jusqu’à l’amnistie du 04 brumaire an IV (26 octobre 1795). Il resta alors au Mans (redevenu chirurgien accoucheur) jusqu’aux Cent-Jours (1815) mais, suite à la Restauration, on le considéra à nouveau comme traître à la Couronne (et comme dangereux révolutionnaire) : on l’arrêta le 18 août 1815. Il fut ensuite conduit à Cologne puis consentit de force à l’exil qu’on lui indiquait de suivre à Bruxelles jusqu’à la Révolution de 1830. A son retour en France, il déclina peu à peu et revint au Mans pour y mourir le 17 septembre 1834.

Engagé en politique dès 1790 comme officier municipal de la ville du Mans, Levasseur y créa la Société des Amis de la Constitution sur le modèle du Club (parisien) des Jacobins puis intégra celui des Montagnards. Elu représentant du peuple en 1792, Levasseur sera l’un des secrétaires de la Convention et votera la mort du Roi. En 1793, on lui doit d’être l’un des porteurs (avec Robespierre (1758-1894)) du Tribunal criminel extraordinaire auquel son nom comme créateur fut – malheureusement pour lui – attaché. En effet, alors que Levasseur avait voulu faire de cet organe un promoteur de l’Egalité républicaine (ladite juridiction étant conduite à juger les traitres à la Patrie et les contre-révolutionnaires), le Tribunal d’exception (créé par la Loi du 10 mars 1793), aux côtés et aux ordres du Comité de Salut Public, devint un organe au service de la Terreur. Pourtant, comme en témoigne la citation reproduite infra, Levasseur a toujours eu cette même Egalité comme principe chevillé au corps et au cœur. C’est en son nom qu’il demanda et soutint l’abolition de l’esclavage pour demander et obtenir qu’enfin « tous les hommes soient libres, sans distinction de couleur » (1794). Les Mémoires de Levasseur commencent d’ailleurs par ces mots : « Si l’Egalité règne parmi vous, si l’arbitraire et les vexations de tout genre, qui formaient le honteux cortège de l’Ancien Régime, ont presque entièrement disparu », c’est aux Conventionnels et à ces premiers Républicains que nous le devons. Puissions-nous ne pas l’oublier. Concrètement, les combats du Sarthois en faveur de l’Egalité se firent sous trois facettes : à propos de l’Egalité femmes / hommes ; à propos de l’Egalité et de la fraternité républicaines (Levasseur était du reste franc-maçon) et s’agissant – on l’a dit – de l’Egalité de couleurs … Comme constituant en 1793, Levasseur défendit la souveraineté du peuple (et non de la Nation comme Sieyes) et suivit donc davantage Rousseau (1712-1778). Refusant le mandat représentatif, il osa revendiquer un droit à la démocratie réelle, « seul gouvernement possible ».

Op. :      Outre plusieurs de ses discours, citons ses Mémoires (dont les deux premiers livres sont parus en 1829 alors que les deux derniers l’ont été grâce à son fils, François, en 1831) ainsi que son Manuel des accouchements (1779).

Cit. :      « Un jour viendra où l’Egalité sera prise pour base du pacte social, où chaque individu si infime qu’il soit, aura les mêmes droits et la même part aux affaires publiques que l’homme le plus élevé dans la hiérarchie sociale ». « On reconnaîtra alors que les titres ne sont rien ». « On ne traitera plus de folle utopie une Constitution qui repose sur ces bases sacrées » (Mémoires).Biblio. Jouteux Daniel (dir.), Conférencessur Levasseur (…) ; Sarf ; Lenotre Georges, Le Tribunal révolutionnaire (1793-1795) ; Paris, Perrin ; 1918 ; Peyrard Christine, « René Levasseur (1747-1834) » in Mémoires de Levasseur (…) ; Paris, Messidor / Editions Sociales ; 1989.