Le présent article fait partie d’un ensemble de présentations – d’œuvres & d’auteurs de la doctrine publiciste – rédigées par le pr. Touzeil-Divina.
Sauf indication contraire, le texte reproduit ici est un extrait issu du Dictionnaire de droit public interne (Paris, LexisNexis ; 2017). Il n’est pas libre de droit(s) (plagiat toussa toussa).
Pierre Paul Nicolas Henrion est né le 28 mars 1742 à Tréveray et décédé le 23 avril 1829 à Paris (où il repose encore au cimetière dit du Montparnasse). Son père était prévôt et c’est en 1760 qu’il devint Seigneur de Pansey. Après des études de Droit à Pont-à-Mousson, il a été inscrit comme avocat (1763) au Parlement de Paris. Il est alors devenu un spécialiste du droit des fiefs (I). Après la Révolution, cependant, sa carrière s’est transformée. Il a gravi les échelons de la Juridiction et a écrit de nombreux ouvrages qui font encore autorité en droit privé comme en droit public. En effet, comme chez Tocqueville (1805-1859), on peut considérer qu’Henrion a fait partie de ces juristes incarnant le mieux l’Unité du / des droits (II).
I. L’avocat feudiste d’Ancien Régime
Comme avocat, Henrion a rapidement conquis la célébrité non seulement par la rigueur de ses mémoires écrits mais aussi et surtout par un talent oratoire et une finesse d’esprit enviés. Il s’est alors fait connaître par plusieurs grandes affaires gagnées et notamment en obtenant la libération d’un esclave que son maître avait ramené en métropole (1770) ou encore, sous l’influence directe de Rousseau (1712-1778), en justifiant une morale puritaine et vertueuse voire une censure exercée contre certains hommes de théâtre jugés trop futiles (1775). Il se fait surtout reconnaître comme l’un des plus grands spécialistes du droit des fiefs (d’où le terme de feudiste) (s’agissant entre autres des contrats féodaux et de la censive) et prêta en outre sa plume à la réédition du Traité des fiefs de Dumoulin (1500-1566). Il s’intéressa alors particulièrement aux droits des Seigneurs (droit de chasse, droit de colombier, droits dans les églises, etc.) et insiste particulièrement sur la notion d’expropriation justifiée par l’utilité publique (qu’il continuera d’étudier après 1789) et qu’il analysait en expliquant que « l’utilité publique est la juste mesure des sacrifices que le seigneur doit au public ».
II. L’administrateur puis magistrat d’après les Révolutions
Avec 1789, même si Henrion était acquis aux idées des Lumières, il dut (comme beaucoup de nobles) se retirer sur ses terres lorraines de Pansey mais il y fut rapidement sollicité comme administrateur puis comme professeur de Droit à l’école centrale de la Haute-Marne (1795). Surtout, c’est après 1800 qu’il va resplendir à nouveau de mille feux en faisant une nouvelle carrière, de magistrat cette fois, au Tribunal qui deviendra Cour de cassation (dès 1800) jusqu’à en devenir le Premier président (en 1828). Là, on lui prête une rigueur exemplaire qui lui aurait fait prononcer cette belle formule de l’ancien président Séguier (1504-1580) : « La Cour rend des arrêts, non des services ». Témoin de ses compétences, Napoléon I (1769-1821) le fit même nommer Conseiller d’Etat (1813) ce qui atteste, une nouvelle fois, de son agilité d’esprit à manier non seulement des questions de droit privé mais encore de droit public. Grâce à son expertise d’administrateur territorial (acquise entre 1789 et 1800 en Lorraine) il se spécialisa sur le sort des biens communaux et s’entoura – pour l’aider comme secrétaires du fait d’une santé fragile et d’une cécité galopante – de plusieurs avocats curieux, comme lui, des problèmes juridiques transversaux et matérialisant l’Unité du droit. C’est ainsi qu’il recruta le futur préfet Louis Rozet (1796-1836) mais aussi le futur doyen de la Faculté de Droit de Poitiers, Emile-Victor-Masséna Foucart (1799-1860), qui continuèrent son œuvre doctrinale et qu’il contribua à former. Foucart devint même le secrétaire particulier d’Henrion et témoigna avoir beaucoup appris à ses côtés. Par ailleurs, et à l’instar encore d’un Tocqueville, la doctrine, sûre et recherchée d’Henrion, témoignait de ce désir de démontrer les continuités existant entre l’Ancien et le Nouveau Régimes après ou malgré 1789. Henrion de Pansey a alors connu le succès avec la publication de ses réflexions sur l’autorité judiciaire et c’est surtout à la notion de pouvoir(s) (judiciaire, exécutif mais aussi administratif) qu’il s’est intéressé justifiant, se faisant, l’existence propre d’un contentieux administratif, c’est-à-dire d’un contentieux soustrait aux tribunaux judiciaires. Selon lui, les litiges soulevés toutes les fois que l’administration publique agissait comme pouvoir discrétionnaire, relevaient de sa prérogative comme une compétence annexe et nécessaire. C’est en ce sens que lui est attribuée et résumée la célèbre maxime suivante : « Juger l’administration, c’est encore administrer ».
Op. : Traité des fiefs (…) (1773) ; De la compétence des juges de paix (1805 à 1827) ; De l’autorité judiciaire en France (1818) ; Du pouvoir municipal (…) (1820 à 1840 repris et continué notamment par Foucart).
Cit. : « Pourvoir, par des ordonnances, à l’exécution des Lois, à la sûreté de l’Etat, au maintien de l’ordre public, aux différents besoins de la société, c’est administrer. Statuer, par des décisions, sur les réclamations auxquelles ces ordonnances peuvent donner lieu, et sur les oppositions que des particuliers se croiraient en droit de former à leur exécution, c’est encore administrer. On administre donc de deux manières : par des ordonnances en forme de Lois, et par des décisions en forme de jugements » (in De l’autorité judiciaire ; 1827 (3 e éd.)). C’est cette opinion que l’on résume souvent par : « Juger l’administration, c’est encore administrer ».
Biblio. Laude Renée, Henrion de Pansey, 1742-1829, thèse de doctorat, Lille, 1941 ; Halperin Jean-Louis, Le Tribunal de cassation et les pouvoirs sous la Révolution, 1790-1799 ; Paris, Lgdj ; 1987 ; Rozet Louis, Notice historique sur (…) Henrion de Pansey ; Paris, Barrois ; 1829 ; Dhjf ; p. 516 ainsi que son portrait dans l’étonnant ouvrage de Poupin Théodore, Caracteres phrénologiques et physiognomoniques des contemporains les plus célèbres (…) ; (Bruxelles, établissement encyclographique ; 1837 ; planche A pour « Alimentivité » (sic)).