Le présent article fait partie d’un ensemble de présentations – d’œuvres & d’auteurs de la doctrine publiciste – rédigées par le pr. Touzeil-Divina.
Sauf indication contraire, le texte reproduit ici est un extrait issu du Dictionnaire de droit public interne (Paris, LexisNexis ; 2017). Il n’est pas libre de droit(s) (plagiat toussa toussa).
Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu (1689-1755) est décrit sous de multiples aspects : celles de l’Académicien et des Lettres ; celle du magistrat issu d’une famille dite d’épée mais aussi de robe (par son oncle qui lui transmettra sa charge de « Président à mortier »), celle du noble attaché aux privilèges de sa classe mais ayant lutté contre l’absolutisme, celle du philosophe ayant lancé les Lumières et le libéralisme, celle de l’avocat ou encore celle de l’auteur de génie de l’Esprit des Lois (1748). On oublie cependant souvent qu’outre toutes ces facettes (et certainement encore de multiples autres), Montesquieu fut aussi un grand propriétaire de vignobles (dont le Château et les vins de graves existent encore en Bordelais) : c’est peut-être aussi pour cela qu’il se fit le promoteur de la modération (II) comme pour la dégustation du vin et de la liberté (I).
I. L’éloge de la liberté politique
Après avoir été avocat, Montesquieu deviendra magistrat, au décès du frère de son père, président du Parlement de Bordeaux. Tous ses biographes mentionnent cependant que cette charge lui pesa plus qu’on ne l’imagine et qu’il trouva largement plus de bonheurs dans la taille et la production de ses vignobles ainsi que dans les causeries littéraires. Reçu dans différentes académies, entre autres suite au succès de librairie de ses Lettres persanes (parues d’abord de façon anonyme en 1721 depuis Amsterdam) dans lesquelles il dressa une critique fine de la société contemporaine, l’auteur commença à développer une analyse de plus en plus politique des événements. Au cœur de celle-ci, c’est le « premier » libéralisme qui va s’y exprimer puisque, selon lui, l’objet de tout bon gouvernement est précisément la garantie des libertés accordées. Libertés que l’absolutisme écrase et que la démocratie écraserait tout autant selon lui. En sa qualité de baron, en effet, Montesquieu est conscient (et revendique comme tel) d’appartenir à une classe noble destinée notamment à tempérer, comme les villes des Bourgeois et les Parlements de Justice, le pouvoir absolu d’un monarque. On parle en ce sens d’un libéralisme aristocratique et l’auteur se plaisait ainsi à qualifier la chambre des représentants du peuple de « chambre basse » par opposition à celle, « haute » de la noblesse. Ses idées se diffusant, Montesquieu sera très recherché des Cours royales et sera invité dans de très nombreux pays auprès de monarques qui lui demanderont parfois de les transformer en despotes éclairés. Car c’est bien un génie que fut l’auteur de l’Esprit des Lois (1748-1749) même si l’on trouve dans cet ouvrage quelques théories plus alambiquées à l’instar de celle (que porta également Bodin (1529-1596) bien avant lui) dites des climats. Toutefois, en matière de liberté politique comme de climat, Montesquieu faisait l’éloge de(s) la modération(s).
II. L’art de la modération (et donc de la distribution) des pouvoirs
Le cœur de la doctrine du maître repose, selon nous, sous ce vocable de la modération au profit d’une Monarchie constitutionnelle non absolue. Selon lui, en effet, chaque pouvoir doit être potentiellement contré et tout du moins tempéré (modéré) ce qui donnera lieu à sa célèbre expression de la distribution ou de la séparation des pouvoirs qui n’est autre qu’une matérialisation de la lutte contre l’absolutisme en ce que ce dernier concentre précisément sans modérer le(s) pouvoir(s) entre les mains d’un seul. Comme référent de cette modération politique, Montesquieu a longtemps pris l’Angleterre (qu’il a certes connu mais qu’il a en partie manifestement sublimée sinon fantasmée) comme étant le royaume acceptant, précisément, une modération / distribution du pouvoir non retenue entre l’autorité unique du Roi. En outre, l’ouvrage reprend la distinction des trois systèmes ou formes de gouvernement(s) qu’avaient imaginés d’autres auteurs avant lui (République (notamment démocratique ou aristocratique), Monarchie et despotisme) tout comme il va beaucoup s’inspirer de Locke (1632-1704) (qu’il a lu) lorsqu’il va traiter des pouvoirs « séparés » exécutif, législatif et judiciaire : « Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des Lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers ». Son « esprit » des Lois cherche donc à identifier non pas l’acte législatif comme le fruit d’un caprice humain mais bien comme le reflet d’une Nation donnée et c’est par la raison (ce qui le situe bien dans le courant des Lumières) que Montesquieu entend bien déterminer cet « Esprit » au profit, on l’a dit, d’une Monarchie modérée nourrie (comme chez Machiavel (1469-1527) du reste) mais avec d’autres objectifs finaux par la vertu.
Op. : Les Lettres persanes (1721) ; Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) ; De l’Esprit des Lois (1748) ; Article « goût » dans l’Encyclopédie de Diderot & d’Alembert (1753).
Cit. : « La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés… que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » (1748 ; De l’Esprit des Lois ; Liv. XI, Chap. IV).Biblio. Althusser Louis, Montesquieu, la politique et l’histoire ; Paris, Puf ; 1959 ; Barckhausen Henri, Montesquieu, ses idées et ses œuvres d’après les papiers de la Brède ; Paris, Hachette ; 1907 ; Eisenman Charles, « Montesquieu et la séparation des pouvoirs » in Mélanges Carré de Malberg ; Paris, Sirey ; 1933 ; Lacouture Jean, Montesquieu, les vendanges de la liberté ; Paris, Seuil ; 2003 ; Sorel Albert, Montesquieu ; Paris, Hachette ; 1887 ; Starobinsky Jean, Montesquieu ; Paris, Seuil ; 1953 ; Dhjf ; p. 745 et s.