Le présent article fait partie d’un ensemble de présentations – d’œuvres & d’auteurs de la doctrine publiciste – rédigées par le pr. Touzeil-Divina.

Sauf indication contraire, le texte reproduit ici est un extrait issu du Dictionnaire de droit public interne (Paris, LexisNexis ; 2017). Il n’est pas libre de droit(s) (plagiat toussa toussa).

Les présentes lignes sont extraites d’un ouvrage (en cours de publication – 2024) sur les grands auteurs du Droit de la santé. J’y ai participé aux côtés du pr. Poirot-Mazères pour célébrer le pr. Jean-Marie-Auby.

Pour conclure, on croit pouvoir et devoir insister, en résumé, sur l’apport du doyen Auby à la conception globale et marquée du sceau de l’Unité du Droit sanitaire et social. Pour ce faire, il faut chronologiquement insister sur quatre caractéristiques de son investissement en la matière parce qu’elles résument parfaitement les évolutions générales du Droit de la santé.

  1. D’abord, les études entre Droit et Médecine ne se sont raisonnablement conçues qu’entre médecins et juristes au regard d’un droit sanitaire mais aussi social.
  2. Ensuite, le droit de la santé a surtout été un droit privé médical et pharmaceutique dont les aspects publicistes n’étaient que complémentaires.
  3. Partant, le droit des services publics a considérablement imprégné ce qui est devenu le droit hospitalier.
  4. Enfin, l’expression globale de « droit de la santé » s’est imposée.

Droit & Médecine : la nécessaire interdisciplinarité académique. Il est évidemment possible d’écrire sur la médecine sans être médecin et sur le Droit sans être juriste et cela peut même donner de bons résultats à l’instar de témoignages ou d’études sociologiques et historiques notamment. Cependant, on en conviendra aisément, les experts de ces deux branches sont a priori les mieux placés pour en raconter non seulement les évolutions mais encore les aspects positifs et techniques. En conséquence, lorsqu’un objet d’études comme le droit de la santé ou – au préalable – la médecine légale se forme, s’il est possible d’y invectiver dans une seule des deux disciplines impactées (le droit ou la médecine), il va sans dire qu’une nécessaire interdisciplinarité s’impose pour obtenir une plus grande connaissance et a priori une plus grande objectivité due aux échanges et aux confrontations entre spécialistes juristes et médecins. Or, avant la Seconde Guerre mondiale, principalement, rares ont été les ouvrages et les études ainsi marquées de l’interdisciplinarité : les médecins ou les juristes préférant agir seuls avec parfois, seulement, une préface ou quelques mots laissés à l’autre discipline. Certes il y a bien quelques exceptions à l’instar de l’étude précitée d’Appleton [1] et Salama mais, la plupart du temps, quand cette interdisciplinarité se matérialise, elle n’est pas encore le fruit d’universitaires mais uniquement de praticiens. Ce n’est qu’avec le Traité de droit médical (1956) des professeurs René et Jean Savatier mais aussi Péquignot et Auby [2], qu’elle franchit un cap dans la connaissance. Les quatre hommes sont effectivement tous des universitaires reconnus ce qui permet d’affirmer et d’afficher une place non accessoire mais égale aux deux disciplines incarnées. Concrètement, sans le docteur Péquignot, même si l’angle premier d’attaque est juridique, le Traité de droit médical n’aurait pas pu exister et réussir à obtenir une telle importance scientifique tant en médecine qu’en droit.

L’interdisciplinarité a ainsi marqué le doyen Auby dès ses premières collaborations scientifiques : elle s’impose en 1956 dans le Traité de droit médical comme elle s’était matérialisée en 1953 lors de la reprise du Traité de droit pharmaceutique [3] par les « disciples » de Poplawski : Auby (le juriste) et Coustou (l’universitaire en pharmacie). Ainsi, jusqu’à l’édition « moderne » du Droit médical et hospitalier qu’il dirigera à compter de 1988, Jean-Marie Auby a toujours intégré dans ses ouvrages collectifs en droit(s) de la santé, non seulement des juristes mais encore des médecins et des praticiens à l’instar (pour cette dernière publication) du professeur (alors honoraire) Henri Péquignot (qui avait été sollicité dès 1956 par Savatier) mais encore de Jean-Pierre Alméras (rédacteur en chef de la revue Le concours médical) ou encore de Monique et Jean Mignon, conseillers juridiques de syndicats médicaux et de médecins de la future Union européenne. Cette interdisciplinarité, en outre, est marquée d’une conception qui dépasse la cadre sanitaire pour embrasser une dimension nécessairement sociale. Le Traité de droit médical des Savatier / Péquignot / Auby traité ainsi de questions aujourd’hui considérées comme rattachées à la protection et aux droit sociaux : du travail, des pensions, des accidents, de mutuelles, de prévention, etc.

Un droit d’abord médical et privé. Les premières associations de Jean-Marie Auby aux droits de la santé se réalisent dans les années 1950, on l’a dit, dans les Traités des droits médical et pharmaceutiques. Ces derniers sont dirigés par des professeurs de droit privé qui ont compris qu’outre l’intradisciplinarité précitée, il fallait désormais ajouter de l’interdisciplinarité juridique et c’est elle que va incarner et matérialiser Auby en étant dans les deux ouvrages « le » spécialiste du droit public permettant d’injecter des chapitres consacrés aux monopoles, aux services publics ou encore à la réglementation des professions par les ordres mais ce, parallèlement à ce qui a longtemps été perçu comme l’essentiel : la relation contractuelle (de droit privé) entre un médecin ou un pharmacien et son patient (ou client). Sans aller jusqu’à écrire qu’Auby n’a d’abord été que le « publiciste de service », il faut savoir rappeler la prééminence chronologique du droit privé sur le droit public dans les études juridiques et sanitaires. En outre, à l’époque antérieure de la médecine légale, seuls les pénalistes principalement étaient associés aux recherches et causes des morts dans les expertises judiciaires et pénales. Cela dit, l’intelligence des Traités préc. a précisément été d’intégrer non de façon cosmétique ou saupoudrée du droit public mais de lui donner, par les écrits d’Auby, une véritable place conséquente ce qu’il n’oubliera pas lorsqu’on lui proposera de diriger son propre Traité.

Un droit médical & hospitalier. En effet, lorsqu’en janvier 1988, Jean-Marie Auby dirige et coordonne le Droit médical et hospitalier [4] aux éditions Litec, chacun comprend qu’il réalise, en la complétant, une nouvelle et tardive édition « hommage » du Traité de droit médical de 1956. Certes, l’ouvrage ne s’appelle pas Traité par humilité mais il l’est incontestablement. En outre, non seulement l’éditeur est le même (Litec étant l’agglomération acronyme de l’ancienne édition Librairies Techniques ayant édité les deux Traités de droits médical et pharmaceutiques) et l’existence de classeurs périodiques individualisant les auteurs et les études facilitant l’inter et l’intra disciplinarité.

Ainsi, s’entourant de juristes universitaires de droit public et de droit privé, de praticiens juristes (à l’instar d’experts syndicaux mais aussi de membres du Conseil d’État à l’instar de Louis Fougère) et médecins et d’universitaires en médecine, Auby transcende le Traité des Savatier pour transformer l’essai privatiste premier en ode à l’unité incarnée des droits. Ce faisant, l’ouvrage, qui va donner une part importante aux droits publics (avec par exemple des contributions remarquables [5] sur les institutions sanitaires impliquées tant en droit interne qu’au niveau international, les ordres et professions médicales mais aussi les « libertés médicales ») tout en faisant une part belle à l’hospitalo-centrisme français consacré par les ordonnances Robert Debré de 1958 [6], n’en oublie pas ses origines – notamment contractuelles – issues du rapport entre le médecin et ses patients. La part fondamentale du droit privé y est ainsi non seulement honorée mais célébrée sans en faire un accessoire académique. Il faut en ce sens lire les fascicules [7] comme ceux de Gérard Mémeteau sur l’exercice individuel de la médecine ou encore sur les contrats entre cliniques et médecins pour le constater. Cela dit, si Jean-Marie Auby a manifestement compris et traduit dans ce Traité l’hospitalo-centrisme précité en le qualifiant de droit médical et hospitalier, aucun fascicule, étrangement, ne concerne uniquement la gouvernance ou le fonctionnement hospitalier. Il y s’agit comme d’une évidence à l’exception de la cinquième partie de l’œuvre (que l’on ne découvre donc qu’in fine). Cela dit, l’interdisciplinarité propre aux Traités de 1950 et de 1956 y est toujours tangible puisqu’à la plupart des fascicules rédigés par des juristes, on associe des « points de vue » médicaux uniquement rédigés par des spécialistes de la médecine qui viennent ainsi éclairer l’ouvrage au fil de ses pages et non uniquement à quelques rares endroits ciblés.

La force du droit de la santé. Enfin, Jean-Marie Auby, même si son droit médical et hospitalier de 1988 est postérieur à son Droit de la santé [8] (1981) paru aux presses universitaires de France, a consacré par ses écrits de tout un demi-siècle (de 1955 à sa mort) l’existence d’une conception globale des droits sanitaires (médical, hospitalier, pharmaceutique, etc.) en une expression polymorphe et accueillante marquée de l’unité juridique : celle du droit de la santé. Ainsi écrit le doyen aux premières pages de son premier fascicule de 1988 [9] : « le droit de la santé a donc un objet plus large que le droit médical. Trop large peut-être ! » et ce, parce qu’il dépasse la seule relation médicale pour y inclure de multiples autres relations et rapports médicaux mais aussi paramédicaux. Auby y intégrait même [10] la définition internationale de la santé par la « constitution » de l’Oms visant l’objectif d’un « bien-être » dépassant la seule question de l’absence ou de la présence d’une maladie.

Et, là encore, comme aux origines de 1956, la dimension sociale du droit va permettre à Auby de revendiquer une acception particulièrement actuelle du droit de la santé et ce, dès 1981 dans son manuel rédigé en solo [11] : « la santé est en elle-même une situation individuelle ; cependant, par les facteurs qui la conditionnent ou la compromettent, par les moyens de la rétablir, elle apparaît aussi comme un phénomène social d’autant plus que l’état sanitaire (…) d’une société constitue un élément essentiel des caractères de cette société ». Ce faisant, cette acception large lui permettra, sans reprendre l’adjectif « public » de concevoir une vision large du droit sanitaire incluant non seulement le droit médical mais encore tous les services publics et les droits et politiques de police les matérialisant. N’oublions pas, à cet égard, que l’un des premiers écrits [12] du futur doyen ne concernait pas le droit médical ou le droit public ou privé de la médecine mais – déjà – le terme global sanitaire et ce, à travers l’étude de « l’obligation à la santé ».

Jean-Marie Auby – comme plusieurs de ses frères et sœurs d’armes académiques contemporains – ont ainsi marqué et matérialisé l’unité du droit et – partant – la création puis la reconnaissance du ou des droit(s) de la santé.


[1] Op. cit.

[2] Op. cit.

[3] Op. cit.

[4] Op. cit.

[5] Il y s’agit respectivement des fascicules 10, 05, 07, 12, 24 et 35.

[6] On fait ici référence aux trois ordonnances du 30 décembre 1958.

[7] Cf. fascicules 70 et 87.

[8] Op. cit.

[9] Auby Jean-Marie, « Généralités sur le droit médical » in Droit médical et hospitalier ; Paris, Litec ; 1988 ; Fascicule 01 ; p. 03 et s.

[10] Ibidem.

[11] Op. cit., p. 12.

[12] Auby Jean-Marie, « L’obligation à la santé » in Annales de la Faculté de Droit de Bordeaux ; 1955.