L’un des thèmes favoris de recherche(s) du rédacteur du présent site est l’étude de « la / des doctrine(s) » juridique(s).
Ancienne, ou contemporaine, étrangère (et notamment méditerranéenne) ou française, de droit public ou privé, l’étude de la façon dont les juristes relatent et présentent le Droit est passionnante.
On a mis ici en avant plusieurs de ces recherches mais aussi et surtout d’auteurs et d’œuvres admirés.
Thèmes de recherche(s)
Service public, Fonctions publiques, Droit(s) de la Santé, Unité du Droit, Méditerranée, Laïcité, Droit parlementaire,
doctrine(s)…
Voici parmi les thématiques actuellement explorées par l’auteur.
L’intérêt général constitue la demande
et le service public
sa réponse
Émile Victor M. FOUCART (1799-1860)
Le temps
fait justice
de tous les torts,
même des torts académiques
François-Vincent RASPAIL (1794-1878)
Le droit administratif est essentiellement
le droit
des services publics
Louis ROLLAND (1877-1956)
.
Il n’y a qu’un Droit comme il n’y a
qu’une Justice
Léon DUGUIT (1859-1928)
Doctrine(s)
La présente définition est issue de notre Dictionnaire de droit public interne (Paris, LexisNexis ; 2017).
Obligation de moyens pour tout enseignant-chercheur. Étymologiquement, le terme vient de « docere » qui signifie enseigner (en latin) et par suite du terme doctrina (pour « enseignement »). Par extension, le sens commun retient du terme une opinion voire une position (sinon une pétition) de principe(s) d’une autorité religieuse (comme le Vatican) ou politique (comme un ministère). On parle ainsi de doctrine fiscale (I à IV).
I. Doctrine(s) juridique(s) :
écrits & auteurs
En droit, la doctrine désigne non seulement les écrits juridiques (sur le Droit ou relatif au(x) droit(s)) mais aussi les auteurs (essentiellement enseignants-chercheurs) de ces productions [d’où le (s) cludien entre parenthèses ici employé]. Ces écrits sont alors destinés à éclairer le droit positif. Certains (souvent frustrés) considèrent que l’esprit doctrinal naît avec le concours d’agrégation ce qui est évidemment faux puisqu’il existe des professeurs agrégés qui, une fois le concours en poche, ne produisent aucune doctrine alors que d’excellents maîtres de conférences par exemple proposent des doctrines profondes et stimulantes. Le premier « trait d’esprit » que l’on confie alors aux jeunes agrégés lorsqu’ils viennent d’apprendre leur réussite « au » concours consiste précisément à leur dire que désormais tout ce qui sortira de leur bouche, y compris les erreurs (sic), sera désormais analysé comme une position doctrinale ! A l’auteur du présent dictionnaire, on a ainsi dit, dans les jours suivants sa réussite au concours externe d’agrégation : « la doctrine ne se trompe jamais, elle change simplement d’avis ». L’expression est peut-être amusante mais elle doit surtout l’être lorsque l’on est agrégé. Par « doctrine juridique », fruit du labeur de la parole de l’enseignant-chercheur en droit, on entendra donc plutôt les écrits personnels de nature scientifique et juridique ainsi, par extension, que l’ensemble des auteurs qui y appartiennent. On sait en outre qu’on peut opposer à cet égard la doctrine universitaire à celle, dite organique, des institutions notamment administratives et juridictionnelles (comme à travers les conclusions des rapporteurs publics). En tout état de cause, et selon la belle formule du professeur Malaurie dans son Dictionnaire d’un droit humaniste (2015), « la doctrine est le miroir du Droit tout entier ».
II. Doctrine(s) juridique(s) : publication
& « autorité »
Il faut ensuite ajouter deux caractéristiques propres à la reconnaissance d’une « doctrine » : l’opinion – scientifique et en l’occurrence juridique – doit avoir été publiée et apparaître comme revêtue d’une certaine « autorité ». Sur le premier point, on relèvera la très belle expression de notre collègue Wafa Tamzini sur cet élément : « une doctrine non publiée est une doctrine morte ». On relèvera également à ses côtés que les supports doctrinaux ont évolué : contenue originellement dans les seuls traités, la doctrine s’est désormais dématérialisée et se retrouve dans des thèses (souvent par une reconnaissance a posteriori lorsque l’impétrant est devenu un collègue), dans des articles publiés dans les revues spécialisées et aussi, depuis quelques années, sur Internet dans ce qu’il est convenu d’appeler les « blawgs ».
III. Doctrine(s) juridique(s) : expliquer
& proposer
En outre, il convient d’affirmer expressément que la doctrine n’a pas pour fonction d’expliciter uniquement le droit de façon exégétique : c’est un préalable certes à toute discussion doctrinale afin que chacun s’entende sur les éléments en débat(s) mais la doctrine doit assumer ce rôle de critique et de proposition sans lequel elle n’a aucune légitimité ou autorité. En ce sens, se contenter de produire de façon quasi industrielle et à chaud des résumés et des chroniques très courts sur la jurisprudence d’une Juridiction n’est pas une activité doctrinale. Il s’agit uniquement de ce que le professeur Atias nomme très justement un « savoir juridique appliqué » (et non « fondamental »). S’en prévaloir serait faire état d’une prétention des plus ridicules aux confinements de la rodomontade et de l’imposture intellectuelle. Certes, il peut arriver (et les auteurs essaient généralement et fréquemment même de le faire) de glisser aux détours d’une note ou d’un commentaire une position tranchée, un point de vue parfois divergent ou critique voire laudatif mais ces quelques mots insuffisamment argumentés et développés ne peuvent être, à nos yeux, assimilés à une véritable doctrine. Ils n’en sont que le commencement éventuel : un doctrinal bourgeonnement. Et l’on ne peut, sur cette voie, qu’être convaincu par les propos, peut-être trop tranchés cependant, du professeur Bienvenu lorsqu’il écrit, non sans provocation, que le commentaire d’arrêt est le « degré zéro de l’écriture juridique » ! Certes, tous les commentaires prétoriens ne matérialisent pas ce « degré zéro » et certains sont de véritables essais doctrinaux étayés et argumentés, critiques et prospectifs, mais la plupart des résumés de jurisprudence, en revanche, ne sont que des… résumés informatifs (ce qui n’est pas – loin s’en faut – inutile ou méprisable et qui est complémentaire de l’activité doctrinale).
IV. Doctrine(s) juridique(s) :
une obligation
de moyens ?
Refuser de tenter au moins de faire œuvre doctrinale pour un enseignant-chercheur (qui peut comme tout un chacun se tromper ou changer d’avis) est un non-sens. La liberté de parole dont ils jouissent leur permet précisément de proposer et de critiquer ce que tous les autres fonctionnaires ne peuvent entreprendre. Refuser de tenter de faire œuvre doctrinale (en proposant et en critiquant) et se contenter d’une description positive et exégétique revient donc à nier pour un enseignant-chercheur sa mission ainsi qu’à refuser d’utiliser la liberté si précieuse que son corps a conquise et encore partiellement conservée. Les universitaires ont donc une obligation morale et de moyens de tenter au moins d’exercer leur sens critique sur le monde juridique. Ce constat – sévère pour certains collègues mais qui rappelle qu’évidemment, lorsque les enseignants-chercheurs produisent, ils ne font pas de la doctrine continuellement mais plutôt par exception(s) ou selon une méthode quasi impressionniste – était déjà celui que Léon Duguit (1859-1928) avait porté à l’égard de son collègue Gaston Jeze (1869-1953) lorsqu’il reprocha à ce dernier de trop suivre la parole strictement positive et sanctuarisée des gouvernants et du Conseil d’Etat notamment au lieu d’exercer son sens critique ce qui aurait dû être, à ses yeux, les seuls objectif et raison d’être des professeurs des Facultés de Droit : « le juriste manque à sa mission s’il n’indique pas au Législateur » ou au juge « quel est » selon lui « le Droit ».
Biblio. Atias Christian, Science des légistes. Savoir des juristes ; Aix-Marseille, Puam ; 2 nde édition ; 1993 ; p. 33 ; Bienvenu Jean-Jacques, « Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine en droit administratif » in Droits ; Paris, Puf ; 1985, n°1 ; p. 156 ; Duguit Léon, Traité de droit constitutionnel ; 3 e éd., Tome II ; 1928 ; p. 75 ; Tamzini Wafa, « Doctrine » in Touzeil-Divina Mathieu (dir.), Initiation au Droit ; introduction encyclopédique aux études et métiers juridiques ; Paris, Lgdj ; 2014 ; 2 e éd. ; p. 270 et s. ; Touzeil-Divina Mathieu, « La prise de parole de l’Enseignant-chercheur en Droit : libérée, citoyenne et fantasmée » in Desaulnay Olivier (dir.), La parole en droit public ; Le Mans, L’Epitoge-Lextenso ; 2017.
La Squadra MTD ©
ma Seleção toute personnelle de onze joueurs de la Doctrine juridique
avec présentation des auteurs & des principales œuvres
- Il s’agit (en 1855) de la 4e édition des Elémens de droit public et administratif du doyen Foucart (1799-1860) qui a ouvert, en province, le premier cours pérenne de droit administratif (dès 1832) après avoir pris ses leçons auprès du premier maître parisien post-révolutionnaire de cette nouvelle branche d’étude : le baron de Gérando.
- Deuxième ouvrage (en 1897) : la seconde édition du Traité de la Juridiction administrative et des recours contentieux du fils de Firmin Laferrière (contemporain et ami du doyen Foucart ayant également marqué l’Université française), le vice-président du Conseil d’Etat (de 1886 à 1898) : Edouard Laferrière (1841-1901) ; sa doctrine a profondément révolutionné et marqué le droit et le contentieux administratifs français notamment en posant une classification, toujours d’actualité, des « branches » du procès administratif.
- En 1908, paraît la quatrième édition du célèbre précis (élémentaire) de droit administratif du doyen Maurice Hauriou (1856-1929). Il s’agit de l’édition par laquelle le maître de Toulouse devient un incontournable (et quasi incontestable selon d’aucuns) génie du droit administratif. A Toulouse, il est encore – et à raison – l’objet d’une respectueuse admiration.
- En 1930, (le – décidément – toulousain) Gaston Jèze (1869-1953) propose la 3e édition de ses Principes généraux du Droit administratif dont le tome II ici présenté est centré sur la notion cardinale de service public dont l’acception se détache de la pensée duguiste objective.
- Au sortir de la Seconde guerre mondiale, c’est un autre auteur influencé par le doyen Duguit, Louis Rolland (1877-1956) qui autorise la publication de ses notes de Cours de droit administratif professé à la Faculté de Droit de Paris. C’est au cœur de ces leçons que sont détaillées les désormais célèbres « Lois » du service public de Louis Rolland.
- Enfin, de manière plus contemporaine, il faut lire, citer et consulter les éditions (dont la première en 1985 du Droit administratif général ou DAG du regretté professeur René Chapus (1924-20174). Même si elle n’est plus actualisée, la 15e et dernière édition de son ouvrage (2001) fait encore autorité.
- C’est en 1748 que Montesquieu (1689-1755) révolutionne littéralement la doctrine publiciste par la publication d’abord anonyme de son Esprit des Lois; la version ici mise en avant est celle (datée de 1749) expurgée des nombreuses premières coquilles mais ce, toujours de façon anonyme.
- A partir de 1834, à la Faculté de Droit de Paris, c’est Pellegrino Rossi (1787-1848) qui va être le premier titulaire, en Faculté de Droit, d’une chaire de droit constitutionnel. En 1866, de façon posthume, en seront publiées les leçons ici exposées.
- A Paris toujours, mais cette fois pour les étudiants de première année (et non de doctorat comme en 1834) c’est un autre maître qui va s’exprimer à travers ses Eléments de droit constitutionnel français et comparé : Adhémar Esmein (1848-1913) à qui l’on doit notamment plusieurs classifications toujours enseignées du droit constitutionnel.
- Parallèlement et marquant à jamais le droit parlementaire (objet privilégié par nos soins au sein du droit constitutionnel), Eugène Pierre (1848-1925) va publier son Traité de droit politique, électoral et parlementaire encore considéré comme la « bible » de cette branche désormais académique…
- Un doyen – à Bordeaux – va alors considérablement marquer les esprits & les doctrines et ce, tant en droit constitutionnel qu’en droit administratif : Léon Duguit (1859-1928) dont la seconde édition (1927) du Traité de droit constitutionnel est ici présentée.
- Enfin, le droit constitutionnel contemporain doit énormément aux travaux (ici ceux de doctorat) d’un docteur en droit devenu professeur puis doyen de la Faculté de Droit d’Aix-en-Provence : Louis Favoreu (1936-2004). Deux champs nouveaux vont, grâce à lui, rentrer au coeur du droit constitutionnel : les droits & libertés ainsi que le juge..
- C’est en 1897, au cœur du Traité de droit administratif (Trattato di Diritto Amministrativo Italiano) du professeur Vittorio Emanuele Orlando (1860-1952) que Massimo Giriodi propose – à nos yeux – le premier ouvrage moderne et complet en matière de droit des fonctions publiques. La simple lecture des têtes de chapitres de l’ouvrage en est significative : tout ce que la doctrine française étudiera entre 1900 et 1950 y est déjà analysé en des termes rigoureux et clairs (ainsi à propos de la hiérarchie administrative (chapitre III), des droits et obligations des agents publics (chapitre V) ou même de leur responsabilité(s) (chapitre VI)).
- En France, c’est la thèse révolutionnaire (pour l’époque) d’Henry Nézard (1875-1953) qui va moderniser les questions d’emploi public en mettant en avant (un demi-siècle avant sa consécration positive) l’appréhension juridique et sociologique du fonctionnariat. la thèse de doctorat est alors intitulée : Théorie juridique de la fonction publique (1901).
- En 1954, moins d’une dizaine d’années après l’adoption du premier statut républicain (1946) de la fonction publique française, le Conseiller d’Etat Roger Grégoire (1913-1990) publie un ouvrage tout simplement nommé la fonction publique dans lequel le « père » doctrinal du statut (il fut le premier directeur de la fonction publique sous l’autorité politique de Maurice Thorez) expliqua les grandes lignes du statut à ses concitoyens.
- Deux années plus tard (en 1956), les études sur la fonction publique se développent comme en témoigne (sans aucune malice cela dit) la publication de la thèse de doctorat de Gérard Lupi consacrée aux positions du fonctionnaire.
- En 2005, une vingtaine d’années après les changements statutaires du début des années 1980 et la mise en avant des trois fonctions publiques (hospitalière, étatique et territoriale), le professeur Fabrice Melleray publie un Droit de la fonction publique (ici la seconde édition) qui propose une nouvelle approche – intégrant notamment les influences européennes – de la matière.
- En 2010, à Nanterre, puis en 2012 dans les librairies, le Collectif l’Unité du Droit (et notamment les docteurs Touzeil-Divina & Sweeney) présentent leurs premières réflexions sur les influences et confluences des droits du travail et des fonctions publiques.
Olivier Mahon
(1752-1801)
Il est (après quelques mois où Pierre Lassus le précède) le premier véritable et pérenne titulaire de la chaire parisienne de médecine légale de l’Ecole de Paris et ce, à compter de 1795. Il développa notamment comme Fodéré
les questions d’hygiène et de santé publiques.
Victor Balthazard
(1872-1950)
Dernier auteur de ce « Panthéon », on a choisi le premier titulaire de l’IML de Paris parce qu’il avait manifestement compris et éprouvé (comme professeur, comme médecin, comme expert mais aussi comme représentant syndical puis
ordinal) la plupart des liens reliant Droit & Médecine.
Ambroise Paré
(1509-1590)
Il est le « Paolo Zacchia » français. Chirurgien, sa doctrine matérielle est à l’origine de l’obligation formelle et juridique de la rédaction des rapports médico-légaux par la Caroline de 1532 décrétée par Charles Quint.
Mathieu Orfila
(1787-1853)
Ses « exhumations juridiques » marquent un tournant dans les rapports entre Médecine & Droit pénal notamment. Il est le père des « experts » devant les Tribunaux et avait pour ennemi juré un certain François Raspail !
De Jacques Moreau
& Didier Truchet (1981)
à Benoît Apollis
Depuis 1981, avec une revendication publiciste assumée, ce « précis » de Droit de la santé publique est le premier véritable ouvrage de cette matière désormais académique.
Collectif
Il s’agit du seul et unique ouvrage mettant précisément en avant les 40 premières années du/des droit(s) de la santé. Et son initiatrice n’est autre que l’exceptionnelle professeur Isabelle Poirot-Mazères, dans le cadre des
40 ans de l’Association française de droit de la santé.
les Savatier / Auby
& Péquignot (1956)
Il s’agit de l’une des « bibles » du Droit de la santé. L’ouvrage va bien plus loin que son intitulé de « droit médical » et embrasse des champs totalement nouveaux pour l’époque tout en marquant l’étude dans une dimension sociale.
De Gérard Mémeteau
(1985) à Marion Girer
Voici encore une pépite issue de l’Université de Poitiers par le truchement du professeur Mémeteau rejoint en 2016 par notre collègue lyonnaise, Marion Girer. Ici encore, l’intitulé, trop humble, dissimule un traité qui dépasse
le cadre du seul droit médical.
Michel Cressole
Paris, éditions universitaires
1973
Laurent de Sutter
Paris, Puf
2019
Arthur Schopenhauer
Paris, Puf
1966
pour cette édition en français
Laurent de Sutter
Paris, Les Liens
qui libèrent ; 2021
« On n’enseigne pas ce que l’on veut ; je dirai même que l’on n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est »
Chambre des députés (le 21 janvier 1910)
Flora D-T.
Parus en 2021,
ces Regards félins
contiennent des photographies
félines sinon félidé(e)s :
oui, c’est l’idée.
Collectif
Et j’ai aussi choisi cet ouvrage publié en 2019 aux éditions L’Epitoge parce qu’il réunit toute la famille présentée ci-avant !
Jean-Claude T.
Parmi des dizaines d’ouvrages publiés, on a retenu celui-ci (paru en 1992) sûrement pour son titre mais aussi pour chacun de ses chapitres dans le récit et l’histoire familiaux.
Tiphaine T-D.
Ce garde-fou ne vous laissera pas indemne après l’avoir lu et côtoyé. Thème cher à l’auteure (depuis Dérives en 1991), laissez-vous précisément dériver.
Doctrines
& ricochets
Parmi les mots les plus difficiles à appréhender pour les étudiants en Droit de première année et dont la doctrine académique se gargarise pourtant en s’en qualifiant de façon éponyme, figure le mot… « doctrine ». Dans un ouvrage (Dictionnaire de droit public interne ; Paris, LexisNexis ; 2017 ; p. 133 et s.), nous l’avons, quant à nous, d’abord appréhendé en rappelant que « le terme vient de « docere » qui signifie enseigner (en latin) et par suite du terme doctrina (pour « enseignement »). Par extension, le sens commun retient du terme une opinion voire une position (sinon une pétition) de principe(s) d’une autorité religieuse (comme le Vatican) ou politique [et administrative] (comme un ministère). On parle ainsi de doctrine fiscale ». Dans ce même ouvrage, on insistait par ailleurs sur le fait qu’à nos yeux un enseignant-chercheur est mu par une forme d’obligations de moyens (et non de résultats) : celle d’essayer de convaincre, de critiquer, d’expliquer, de proposer ; etc. … en résumé : d’essayer de produire de la doctrine (ce qui signifie que le propos doit être développé et non – comme ici – exprimé simplement et rapidement sous la forme de tribune). Une autre difficulté du terme provient de ce qu’il désigne tant l’émanation spirituelle matérialisée que son ou ses auteurs. En tout état de cause, « le » critère principal à retenir semble être celui d’autorité.
En effet, la doctrine n’est pas – matériellement – qu’une opinion – fut-elle très personnelle et unique voire révolutionnaire –, elle est aussi l’émanation – formelle – d’une « autorité » ou d’une personne (même morale) l’incarnant.
En ce sens, et même si cela est frustrant pour l’avoir éprouvé, les écrits d’un thésard (malgré son inévitable et nécessaire égo) ne relèvent pas a priori de la Doctrine mais peuvent le devenir soit parce que l’intéressé – par sa consécration institutionnelle – devient par exemple enseignant-chercheur soit, surtout, parce qu’il a réussi à convaincre des lecteurs qui a posteriori en reconnaissant, en citant et en qualifiant ses écrits vont lui octroyer une valeur doctrinale. Il n’y aurait ainsi, et c’est terriblement rageant que de l’écrire, de Doctrine que d’opinions et de pensées formellement consacrées. C’est en ce sens que se caractérise principalement la notion d’autorité plus encore que la seule qualité scientifique ou spirituelle d’une opinion.
On sait aussi qu’il est d’usage d’opposer deux types de doctrines (en Droit au moins) selon qu’elles émanent de l’Université (doctrine dite académique) ou d’une institution administrative (doctrine dite organique). On voudrait alors insister ici sur un point que les deux adjectifs ne traduisent pourtant pas : la doctrine académique non seulement ne relève pas que de l’Université (mais peut très bien émaner de toute personne ayant autorité dans une autre sphère (ce qui inclut la magistrature, l’avocature, l’administration, le politique, etc.) ou dont les écrits vont recevoir, comme précisé ci-avant une reconnaissance d’autorité) mais encore, elle est a priori, individuelle ou en tout cas individualisée. Cette doctrine est celle de personnes (une ou plusieurs) identifiables et identifiées. Elle n’est pas celle d’un mouvement ou d’une institution à l’inverse de la doctrine dite organique qui, comme son nom y invite, rappelle qu’elle n’est pas l’émanation d’un individu mais d’une fonction, d’un organe, d’une institution. On peut alors aisément la qualifier de collective.
Il faut alors préciser ce que nous nommons le rêve du ricochet. Quel est l’intention non dissimulée d’un auteur ? Que son opinion soit qualifiée de doctrine (individuelle ou académique au sens classique) ; c’est-à-dire que l’on puisse identifier et associer une personne à une opinion singulière et si possible novatrice ou critique. Ce mécanisme se matérialise d’autant plus facilement que l’auteur est lui-même installé dans une position d’autorité ou y ayant aisément accès par ses pairs. Par suite, cette doctrine individualisée n’espère et n’aspire qu’à une chose : convaincre la totalité d’un organe ou de la formation d’une institution pour devenir « la » doctrine officielle (et dite organique) d’une autorité administrative par exemple. C’est l’exemple même des doctrines individuelles des rapporteurs publics et anciens commissaires du gouvernement qu’une formation de jugement va adopter en en faisant (quitte à la modifier même mais en réaction à cette expression individuelle) une doctrine collective et organique. Il en est de même, en droit de la santé, de plusieurs célèbres référents et autres nomenclatures de postes de préjudices, proposés individuellement par des personnalités mais dont la doctrine s’est institutionnalisée.
Et les ricochets peuvent même se multiplier ! Une pensée qui a réussi devient une doctrine (elle fait alors « autorité ») ; une doctrine individuelle qui a marqué devient une doctrine organique et collective et cette dernière peut même devenir… du Droit en étant réincarnée et traduite dans une norme (réglementaire ou législative par exemple).
Par ricochets, la Doctrine mène donc à tout ou presque puisqu’il faut tout de même rappeler qu’il ne s’agit que d’opinions.
La Doctrine n’est ainsi que ce que la Doctrine entend lui donner !
Université
Service Public au service du public. Lieu d’accueil et d’ouverture(s), d’expression(s) et de proposition(s), l’Université (du latin universitas signifiant communauté) est cette « auberge espagnole » mais aussi cette « Arche de Noé » où tout est (encore) possible.
S’y croisent des étudiant(e)s, des enseignants-chercheurs, des personnels administratifs et beaucoup d’humains en devenir.
On y enseigne, on y apprend, on y passe des diplômes (également nommés grades), on y partage aussi, on y recherche surtout et l’on y vit ou l’on y passe.
Depuis sa refondation par la Troisième République, l’Université – façonnée en départements, Unités de Formation et de Recherche (Ufr) ou Facultés (dénominations fluctuantes selon les époques et les habitudes) – est une réunion de plusieurs Facultés (comme le Droit, la Médecine, les Lettres, etc.) : elle est donc a priori pluridisciplinaire.
Une Université basée sur une seule discipline perd cette richesse de l’échange (I). De même, originellement, l’Université ne délivre-t-elle a priori que des connaissances et des diplômes : on y vient pour apprendre et non pour obtenir un métier. C’est là l’une des grandes différences avec une École qui a une visée professionnalisante directe (et est dotée de moyens en ce sens). L’Université cependant – y compris en France dans un contexte massif de chômage – ne peut plus rester cet eldorado intellectuel et cette Tour d’ivoire coupés du monde et de la réalité du travail. Elle a conséquemment intégré cette nécessité d’être non seulement diplômante mais aussi professionnalisante. Pour autant, l’Université ne saurait être assimilée à une entreprise (II). Par ailleurs, si l’Université – historiquement – a très tôt réussi à conquérir son indépendance vis-à-vis des pouvoirs temporels et même spirituels, en devenant une terre de libertés dites académiques (de parole, de recherches, de critiques, de propositions et même parfois d’asile), cette indépendance semble parfois menacée (III).
I. l’Université est diversité
D’un point de vue scientifique, il y a une quasi-unanimité à reconnaître les bienfaits de l’interdisciplinarité qui est la raison d’être même de l’existence des Universités républicaines ; établissements concentrant et brassant en un même lieu la diversité des enseignements et des recherches mais cette diversité, cette pluralité, ne doit jamais entraîner comme elle le fait parfois (et de plus en plus) une unité des vues et des procédures.
Il n’existe pas qu’une seule façon d’enseigner.
Il n’existe pas qu’une seule façon d’étudier.
Il n’existe pas qu’une seule façon de faire de la ou des recherches.
En ce sens, même s’il doit bien entendu y avoir quelques lignes directrices, imposer – unilatéralement de surcroît – une seule vision (généralement issue des sciences dites dures) de faire est proprement destructrice.
Ainsi, par exemple, les doctorants scientifiques font-ils des posters et apprennent-ils à les faire dans leurs études. Il y a un sens à cette démarche mais celle-ci est peu connue en sciences humaines et notamment chez les juristes.
Pourquoi alors obliger ces derniers à matérialiser un tel support qui – concrètement – ne leur servira jamais dans leurs vies professionnelles ? Les y inciter est une bonne chose. Leur faire découvrir d’autres manières de recherches est excellent mais l’imposer ?
Respectons à nouveau la diversité des enseignants-chercheurs.
II. l’Université n’est pas une entreprise mais un service public
L’enseignement supérieur et la recherche doivent être au service de l’intérêt général, de la science et de la société. Les étudiants en sont les principaux usagers. Bien sûr, un service public (comme un Spic) peut être une entreprise mais l’Université, elle, est un Spa qui ne peut être géré de façon managériale car les étudiant(e)s ne sont pas des boîtes de petits pois. Il faudrait alors selon nous réaffirmer le caractère national et républicain du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche pour garantir une égalité concrète des usagers – sans conditions de ressources et de nationalité – et entre tous les établissements. En outre, face à l’hyper-présidentialisation et à la « managérisation » entrepreneuriale de l’Université réalisées au détriment de la communauté des enseignants-chercheurs et de l’ensemble du personnel, il faudrait y redistribuer le pouvoir.
III. l’Université doit être indépendante en démocratie
S’il est un principe que les enseignants-chercheurs aiment rappeler et expliquer pendant leurs leçons, devant un parterre d’étudiants envieux de cette liberté de parole et d’expression, c’est bien le principe constitutionnel d’indépendance qui les protège au sommet de la hiérarchie normative. Grâce à lui, les maîtres de conférences des Facultés et les professeurs agrégés des Universités peuvent sereinement critiquer, proposer, décrire et leur parole n’est pas enfermée dans un carcan d’interdits. Tous, puisque ce n’est évidemment pas l’appât du gain qui les motive lorsqu’ils se consacrent pleinement ou principalement à leur mission, ont conquis diplômes et concours les plus ardus de la République dans un but principal : être libre.
Et, si cette liberté est réelle et tangible, nous comprenons qu’elle n’a précisément pas de prix. Toutefois, un avenir différent a déjà commencé à assombrir les cieux des universitaires français qui constatent l’effritement du principe d’indépendance maintenant rongé de l’intérieur. Nous en prendrons un exemple. Ainsi, d’un recrutement par les pairs, l’on est passé à un recrutement organisé « en majorité » par ceux-ci… Comment s’opérera désormais la répartition, l’attribution et la modulation des services des enseignants-chercheurs ? Pourront-ils notamment se voir imposer par le conseil d’administration et leur Président des modifications importantes et pouvant conduire par exemple au doublement de leurs heures d’enseignement ? Quelles seront, surtout, les garanties accordées et entourant ces modalités d’organisation du service public ? Ici encore c’est l’indépendance des universitaires face à la seule volonté managériale qui est au cœur du débat. Admettrait-on qu’un magistrat soit indépendant lors de sa nomination alors que dans sa vie de tous les jours, n’importe quel administrateur pourrait modifier totalement son service, lui donner de nouvelles attributions ou lui en retirer, le placer par exemple dans une autre « chambre » ou « section » et l’empêcher ainsi d’agir et de réaliser sereinement ses fonctions ? A quoi sert-il de reconnaître un principe – constitutionnel – d’indépendance si, au quotidien et par des administrateurs locaux, il peut être piétiné au prétexte d’une bonne gestion ? Si les universitaires ont réussi à conquérir une indépendance réelle vis-à-vis de l’Etat, il ne servira plus à rien de consacrer cette dernière, même au niveau constitutionnel, puisque – autonomie oblige – c’est une indépendance vis-à-vis des autorités locales qu’il faut désormais consacrer. C’est une « Université sans condition » qu’il faut se réapproprier : hors de toute(s) influence(s) étatique, locale, économique, médiatique, idéologique, religieuse, culturelle, etc.
Biblio. La présente définition est principalement issue de la contribution de l’auteur aux Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche (septembre 2012) ainsi qu’aux travaux par lui menés au sein du Collectif L’Unité du Droit.