Parmi les mots les plus difficiles à appréhender pour les étudiants en Droit de première année et dont la doctrine académique se gargarise pourtant en s’en qualifiant de façon éponyme, figure le mot… « doctrine ». Dans un ouvrage (Dictionnaire de droit public interne ; Paris, LexisNexis ; 2017 ; p. 133 et s.), nous l’avons, quant à nous, d’abord appréhendé en rappelant que « le terme vient de « docere » qui signifie enseigner (en latin) et par suite du terme doctrina (pour « enseignement »). Par extension, le sens commun retient du terme une opinion voire une position (sinon une pétition) de principe(s) d’une autorité religieuse (comme le Vatican) ou politique [et administrative] (comme un ministère). On parle ainsi de doctrine fiscale ». Dans ce même ouvrage, on insistait par ailleurs sur le fait qu’à nos yeux un enseignant-chercheur est mu par une forme d’obligations de moyens (et non de résultats) : celle d’essayer de convaincre, de critiquer, d’expliquer, de proposer ; etc. … en résumé : d’essayer de produire de la doctrine (ce qui signifie que le propos doit être développé et non – comme ici – exprimé simplement et rapidement sous la forme de tribune). Une autre difficulté du terme provient de ce qu’il désigne tant l’émanation spirituelle matérialisée que son ou ses auteurs. En tout état de cause, « le » critère principal à retenir semble être celui d’autorité.

En effet, la doctrine n’est pas – matériellement – qu’une opinion – fut-elle très personnelle et unique voire révolutionnaire –, elle est aussi l’émanation – formelle – d’une « autorité » ou d’une personne (même morale) l’incarnant.

En ce sens, et même si cela est frustrant pour l’avoir éprouvé, les écrits d’un thésard (malgré son inévitable et nécessaire égo) ne relèvent pas a priori de la Doctrine mais peuvent le devenir soit parce que l’intéressé – par sa consécration institutionnelle – devient par exemple enseignant-chercheur soit, surtout, parce qu’il a réussi à convaincre des lecteurs qui a posteriori en reconnaissant, en citant et en qualifiant ses écrits vont lui octroyer une valeur doctrinale. Il n’y aurait ainsi, et c’est terriblement rageant que de l’écrire, de Doctrine que d’opinions et de pensées formellement consacrées. C’est en ce sens que se caractérise principalement la notion d’autorité plus encore que la seule qualité scientifique ou spirituelle d’une opinion.

On sait aussi qu’il est d’usage d’opposer deux types de doctrines (en Droit au moins) selon qu’elles émanent de l’Université (doctrine dite académique) ou d’une institution administrative (doctrine dite organique). On voudrait alors insister ici sur un point que les deux adjectifs ne traduisent pourtant pas : la doctrine académique non seulement ne relève pas que de l’Université (mais peut très bien émaner de toute personne ayant autorité dans une autre sphère (ce qui inclut la magistrature, l’avocature, l’administration, le politique, etc.) ou dont les écrits vont recevoir, comme précisé ci-avant une reconnaissance d’autorité) mais encore, elle est a priori, individuelle ou en tout cas individualisée. Cette doctrine est celle de personnes (une ou plusieurs) identifiables et identifiées. Elle n’est pas celle d’un mouvement ou d’une institution à l’inverse de la doctrine dite organique qui, comme son nom y invite, rappelle qu’elle n’est pas l’émanation d’un individu mais d’une fonction, d’un organe, d’une institution. On peut alors aisément la qualifier de collective.

Il faut alors préciser ce que nous nommons le rêve du ricochet. Quel est l’intention non dissimulée d’un auteur ? Que son opinion soit qualifiée de doctrine (individuelle ou académique au sens classique) ; c’est-à-dire que l’on puisse identifier et associer une personne à une opinion singulière et si possible novatrice ou critique. Ce mécanisme se matérialise d’autant plus facilement que l’auteur est lui-même installé dans une position d’autorité ou y ayant aisément accès par ses pairs. Par suite, cette doctrine individualisée n’espère et n’aspire qu’à une chose : convaincre la totalité d’un organe ou de la formation d’une institution pour devenir « la » doctrine officielle (et dite organique) d’une autorité administrative par exemple. C’est l’exemple même des doctrines individuelles des rapporteurs publics et anciens commissaires du gouvernement qu’une formation de jugement va adopter en en faisant (quitte à la modifier même mais en réaction à cette expression individuelle) une doctrine collective et organique. Il en est de même, en droit de la santé, de plusieurs célèbres référents et autres nomenclatures de postes de préjudices, proposés individuellement par des personnalités mais dont la doctrine s’est institutionnalisée.

Et les ricochets peuvent même se multiplier ! Une pensée qui a réussi devient une doctrine (elle fait alors « autorité ») ; une doctrine individuelle qui a marqué devient une doctrine organique et collective et cette dernière peut même devenir… du Droit en étant réincarnée et traduite dans une norme (réglementaire ou législative par exemple).

Par ricochets, la Doctrine mène donc à tout ou presque puisqu’il faut tout de même rappeler qu’il ne s’agit que d’opinions.

La Doctrine n’est ainsi que ce que la Doctrine entend lui donner !

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