La présente tribune vient de paraître sur le site Internet du journal L’Humanité que l’auteur remercie pour sa confiance :
https://www.humanite.fr/en-debat/laicite/laique-vous-avez-dit-laic
Cette semaine nous célébrons, comme chaque année, l’anniversaire d’une des grandes lois de la République, norme qui a même été, dans son principe au moins, constitutionnalisée : la loi du 9 décembre 1905 consacrant la séparation des Églises et de l’État et que l’article 1er de notre constitution, depuis 1946, affirme en énonçant que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Il ne s’agira pas, ici, de se demander si, au regard de ses si nombreuses exceptions (normatives, prétoriennes ou en pratiques administratives) la Laïcité française serait si « latitudinaire » ou à géométrie si variable que le principe juridique énoncé n’en serait devenu, à nos yeux au moins, qu’un (simple) objectif voire un idéal social fût-il constitutionnalisé. On l’a déjà fait par ailleurs (Cf Dix mythes du Droit public, Lextenso, 2019) et l’on s’est même interrogé collectivement et de façon contemporaine sur l’avenir potentiel sinon souhaitable de ces mêmes exceptions (cf.rencontres organisées ce 13 décembre 2024 au Palais du Luxembourg dans le cadre d’échanges relatifs aux exceptions à la laïcité).
Chacune et chacun célèbrent, en France, la laïcité. Chacune et chacun revendiquent la laïcité.
Chacune et chacun sont même convaincus qu’il n’existerait qu’une simple et unique définition de la laïcité : la leur. Il faut pourtant insister : il n’existe aucune définition absolue, objective et universelle – en droit – du terme célébré par tous et toutes. Si elle existait, la définition univoque de la laïcité, selon l’expression consacrée (sic) ne sentirait pas autant le soufre.
Chacune et chacun croient avoir raison et la vérité révélée d’une définition objective mais force est de constater qu’il y a autant de laïcités qu’il y a de revendications laïques. Ceci ne signifie pas que nous le célébrons, bien au contraire mais nous ne faisons que le constater et prétendre que la notion serait si simple à comprendre et à appliquer qu’il n’y aurait qu’une interprétation possible relève… du vœu pieux. En ce sens, le nombre d’adjectifs qui y sont ajoutés par les politiques ou la Doctrine voire les Églises pour la renforcer ou – au contraire – la minorer sinon l’apaiser (pour d’aucuns) est exponentiel : Laïcité combattive ; anticléricale ; « à la française » ; tempérante ; neutre ; tranquillisée ou tranquillisante ; respectueuse ; tolérante ? etc.
Réaffirmons-le, ici, la laïcité ne devrait nécessiter aucun adjectif ou complément. Affirmer la séparation des Églises et de l’État doit rester – précisément – neutre. La laïcité, ce trésor national, n’implique ni attaques ni privilèges envers une ou toute religion. La laïcité reconnaît (c’est l’article 1er de la Loi de 1905) l’existence sociale de différents cultes et religions mais elle s’engage – pour l’avenir – à ne plus s’y intéresser.
Et il ne s’agit pas davantage de nier notre héritage historique et notre patrimoine culturel. Réaliser, en décembre 2024, qu’existent des milliers d’œuvres, de biens mobiliers et immobiliers du domaine public français, construits avant 1905 (et entretenus légalement depuis) et ayant été consacrés au profit – particulièrement – de la religion catholique, n’a pas à être nié ou dissimulé. La laïcité, si elle est un divorce d’État avec les Églises, ne nie pas le mariage qui exista pendant des siècles.
En revanche, s’il ne s’agit pas de renoncer à notre histoire, il convient, selon nous, de ne pas sacraliser le présent et l’avenir et ce, au nom de la séparation des sphères religieuses et temporelles. À cet égard, permettre, même sous maigres conditions dites festives et inventées par le juge, qu’une représentation de la naissance du Christ figure dans un espace public dit laïque interroge (cf. 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne) ; que des écoles (pourtant assignées au principe de laïcité depuis que Jules Ferry, bien avant 1905, y ait instauré un enseignement laïque par la Loi du 28 mars 1882) et qui, depuis la loi du 15 mars 2004, interdisent même aux usagers d’arborer des signes religieux travaillent avec des « calendriers de l’Avent » sans y voir de symbolisme chrétien, surprend. De même, que penser de la présence du chef de l’État et de son premier ministre démissionnaire, aux premiers rangs d’un office religieux (et non civil, culturel ou patrimonial) du rite catholique de réouverture des portes d’une cathédrale… ou à celui – régulier selon le juge (cf. CÉ, 30 octobre 2024, Pierre O. & alii) – de l’allumage d’une bougie rituelle juive lors de la fête d’Hanoukka célébrée au palais de l’Élysée ? Dans ces différentes espèces contentieuses précitées, le juge, dont on veut bien imaginer qu’il fut embarrassé, n’a eu d’autres solutions que de qualifier les moments et les symboles de non-religieux niant ainsi le fait et réécrivant le droit.
Il y a pourtant deux façons simples d’opérer et d’éviter les mésinterprétations : soit, l’on interdit tout (sans aucune exception) signe, symbole ou participation des agents et des représentants publics dans l’espace public ainsi que dans des lieux qui sont associés aux services publics ; soit, l’on s’insère (ce qui est possible pour les crèches ou même pour la réouverture de Notre-Dame-de-Paris, par exemple) dans un contexte muséal et cultuel affirmé de façon manifeste : par des contextualisations, des explications scientifiques et historiques, des commentaires d’experts, des mises en avant critiques et ce, afin qu’aucune confusion ne soit possible sur la différence entre la reconnaissance du passé et la célébration du présent voire de l’avenir au regard des Églises.
Tout ceci nous conduit vers la réflexion suivante, au regard de ces exceptions multipliées à la laïcité (et singulièrement de ces permissions faites à un culte historique en particulier) : et si, en 1946 comme en 1958, le constituant au lieu de parler d’une République laïque avec un adjectif avait en fait envisagé l’existence d’une France se comportant comme un laïc (en son sens substantif), c’est-à-dire comme un croyant non-membre du clergé mais ayant clairement envie de le servir et de l’honorer ? On espère bien sincèrement se tromper.
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