Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici un extrait du prochain numéro :

CÉ, 10 juillet 2024, Centre hospitalier universitaire de Rennes (req. 479613)

Actions récursoires d’un service public hospitalier condamné à raison d’un produit de santé défectueux

On sait, depuis les célèbres jurisprudences Marzouk (CÉ, 09 juillet 2003, APHP c. Marzouk ; req.220437) et Falempin (CÉ, Sect., 25 juillet 2013, Falempin ; req. 339922) avec l’aval du droit européen (CJUE, 21 décembre 2011, CHU de Besançon ; C-495-10) qu’un service public hospitalier, même sans avoir commis de faute, est tenu responsable des produits ou appareils de santé défectueux qu’il utilise et, notamment, implante quand bien il n’en serait pas le producteur. Et, comme l’a précisé la jurisprudence européenne, cette responsabilité sans faute est d’autant plus compatible qu’elle n’ôte en rien « la faculté pour la victime et/ou ledit prestataire » (ici l’hôpital) « de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de » la directive CEE n° 85/374 du 25 juillet 1985 (transposée aux actuels art. 1245 et s. du Code civil) et ce, « lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci ». C’est cette hypothèse d’actions récursoires que complète ici le Palais royal dans un important arrêt ajoutant aux art. 1245 et s. préc., un autre fondement possible « du fait du maintien en circulation d’un produit dont le producteur connaît le défaut ou encore d’un manquement de celui-ci à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit ». Et d’ajouter enfin qu’une « telle faute peut également être caractérisée en cas de manquement du producteur à son devoir d’information ou de négligence dans l’élaboration du produit faute de respecter les règles de l’art ou une norme technique applicable ».

L’origine de ce litige remonte à 2006 où, au CHU de Rennes, une citoyenne a subi une chirurgie « consistant en la pose d’une prothèse totale du genou droit ». A la suite de troubles manifestes, il s’est avéré que la prothèse (dispositif médical) avait été la cause des préjudices entraînant la responsabilité sans faute du centre hospitalier breton. Toutefois, ce dernier a désiré exercer une action récursoire contre le producteur du produit de santé implanté. Toutefois, ce dernier estimait que les art. 1245 et s. du Code civil étaient inapplicables car le produit litigieux ne serait pas défectueux en soit ce que confirmerait, selon lui, l’attitude de l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé, « à laquelle il incombait d’assurer la mise en œuvre des systèmes de vigilance et d’informer les professionnels de santé du problème de sécurité sur lequel elle avait été alertée ». Or, cette dernière avait estimé que la défectuosité portée au contentieux « ne représentait pas un risque suffisamment important d’usure prématurée pour justifier la diffusion de cette information auprès des chirurgiens français ». Toutefois, va immédiatement ajouter le Conseil d’État, « Il est par ailleurs loisible à l’établissement de santé, s’il s’y croit fondé, d’engager une action récursoire contre le producteur de ce produit en invoquant la responsabilité pour faute de ce dernier » ce qui n’implique pas que le recours unique au régime mise en place par les art. 1245 et s. préc. En effet, « la responsabilité du producteur peut être mise en cause sur un fondement distinct de celui prévu aux articles 1245 à 1245-17 du code civil si, indépendamment de la circonstance que le produit n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, ses agissements présentent un caractère fautif. Il peut en aller ainsi, notamment, du fait du maintien en circulation d’un produit dont le producteur connaît le défaut ou encore d’un manquement de celui-ci à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit. Une telle faute peut également être caractérisée en cas de manquement du producteur à son devoir d’information ou de négligence dans l’élaboration du produit faute de respecter les règles de l’art ou une norme technique applicable ». En l’espèce, assure le juge de cassation, (…)

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