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Désamour politique. A priori, la très grande majorité des femmes et des hommes politiques, ainsi que des juristes, se dit réfractaire à la cohabitation entre une politique présidentielle et une majorité parlementaire qui lui serait opposée. Ceci s’explique parfaitement sous la Cinquième République en ce qu’un parti politique a vocation à gouverner dans la mouvance sinon l’application d’un programme présidentiel. Or, la pratique de notre Constitution, précisément hors cohabitation, donne au Président de la République un tel pouvoir fort aux côtés d’un gouvernement et d’une Assemblée nationale qui en sont, de fait, les commis, que chaque parti aimerait bénéficier de cet alignement des astres politiques. L’affaire est entendue sauf lorsque l’on est dans l’opposition (comme l’actuel Rassemblement national, à droite, ou le Nouveau front populaire, à gauche) puisque, dans cette hypothèse, l’espoir de conquérir une cohabitation au pouvoir certes inférieur à celui d’une concordance avec la majorité présidentielle, reste toujours plus attrayant et désirable qu’être cantonné à s’opposer presque mécaniquement et en vain. En résumé, de nombreux hommes et femmes politiques n’aiment pas la cohabitation (et la présentent souvent comme une atteinte et une limitation des pouvoirs) et ce, d’autant plus qu’ils se trouvent dans la majorité présidentielle. Il faut alors rappeler que le pouvoir est comme le Maître-Anneau du Seigneur des Anneaux : quand on y a goûté, il est presqu’impossible de s’en passer ou de le réduire : on le veut au maximum.

Amour populaire ? A l’inverse, nous affirmons, en Droit, que la cohabitation ne devrait pas faire autant peur qu’on le prétend et, même, qu’elle a beaucoup d’avantages trop souvent tus au détriment d’une efficience absolue de l’exécutif à laquelle tous les Présidents de la Cinquième République nous ont habitué et sont attachés. Partant, la plupart des constitutionnalistes et des politistes comme de nombreux hommes et femmes politiques (depuis Maurice Duverger (La Monarchie républicaine, ou comment les démocraties se donnent des rois ; 1974), en passant par François Mitterrand (le coup d’état permanent ; 1964) ou encore avec Raymond Aron (au Monde du 16 mars 1967) et par le Général de Gaulle lui-même raconté par Alain Peyrefitte), à gauche, comme à droite, on compare notre régime politique à celui d’une monarchie élective faisant du chef de l’État un véritable monarque, certes élu mais tout sinon très (et trop) puissant hors cohabitation. Même le site gouvernemental « vie-publique.fr » ne s’en cache pas et assume la question : « Le Président de la République, un « monarque républicain » ? ». Et, hors cohabitation, avec un Parlement et un gouvernement politiquement acquis sinon soumis, il est vrai que le Président de la République française concentre non tous mais de très (et trop) nombreux pouvoirs. Dès le lendemain du vote de la Constitution de 1958, d’aucuns l’avaient déjà compris en titrant, comme L’Humanité, le 29 septembre 1958 : « La Constitution monarchique adoptée ». La cause est donc entendue et partagée : le Président de la République concentre trop de pouvoirs et la révision constitutionnelle de juillet 2008 n’y a quasiment rien changé : les équilibres, hors cohabitation, demeurent les mêmes : au profit surpuissant du Chef de l’État. Précisément, en cohabitation, ce chef perd de superbe d’acteur premier pour devenir « l’arbitre » que l’article 05 de notre acte constitutionnel désigne : un être au-dessus des partis et non dans « la » partie politique ; un véritable « chef d’Etat » incarnant l’unité de l’État et de sa Nation et non un « chef de parti » décidant de tout et agissant partout. Par ailleurs, en cohabitation, il est faux de dire et d’écrire que le pays est si ralenti qu’aucune Loi ne se vote ou qu’aucune décision forte ne peut être prise tant le blocage serait continu. Agiter ce spectre est une autre fake news comme en a témoigné l’impressionnant arsenal normatif social voté pendant la dernière cohabitation due à une dissolution : Loi sur les 35 heures de travail hebdomadaires, Cmu, congé paternité, Pacs ou encore allocation de rentrée scolaire. De surcroît, en reprenant l’imagerie et le parallèle monarchiques, la cohabitation fait du chef de l’État un véritable « Roi » (certes toujours élu et choisi) à l’image des monarchies parlementaires contemporaines (de la Belgique au Royaume-Uni en passant par l’Espagne) où ce chef est l’incarnation, sympathique et historique, d’un « père » ou d’une « mère » de la Nation tout entière : qui en est l’image et le protecteur, la parole et le représentant, sans en être l’acteur d’un seul camp. Et nous croyons, personnellement, que cette image plaît aux Français plus qu’elle ne les effraie. Comment expliquer, sinon, la réélection en 1988, post cohabitation, du Président Mitterrand pour son second mandat ?

Et si la France aimait la cohabitation même si tout a été manigancé, au profit de l’exécutif, pour qu’elle n’ait plus lieu (notamment en réduisant le mandat présidentiel et en le couplant à l’agenda électoral des législatives) ?

Trois raisons d’aimer la cohabitation : aux noms du Droit, du Parlement & du Temps. Nous croyons même pouvoir assurer et assumer qu’il serait heureux que la cohabitation revienne et ce, pour trois raisons objectives : le Droit, le Parlement et le Temps.

Pendant la cohabitation, les forces politiques dissonantes, entre majorités présidentielle et parlementaire, ne permettent plus au Président de la République de balayer le texte constitutionnel en prenant à son profit les pouvoirs gouvernementaux et parlementaires. Le premier ministre et l’Assemblée Nationale ne sont plus ses objets et ont mérité le droit de penser par leurs propres cerveaux et initiatives. Alors, seul le texte de la Constitution est – et ne peut être – qu’appliqué à la lettre : « La Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution » avait en ce sens résumé et prophétisé le Président Mitterrand qui y fut confronté le premier en 1986. Autrement dit, la cohabitation implique que l’on respecte – enfin – la plus haute norme de l’ordre juridique interne qui, en temps normal, est foulée du pied par le chef de l’État. N’est-ce pas positif (alors que l’on demande à chaque citoyen de respecter le Droit) qu’enfin les acteurs constitués eux-mêmes donnent l’exemple et appliquent réellement le texte constitutionnel ?

En outre, hors cohabitation, le Parlement revit et retrouve les droits qui sont les siens : ceux de l’incarnation nationale dans sa diversité et sa plénitude. Alors qu’hors cohabitation, l’Assemblée, fait majoritaire oblige, est aux bottes de l’exécutif présidentiel auquel elle obéit sans ciller, en cohabitation c’est bien d’elle seule dont émane le pouvoir et le gouvernement. La cohabitation force donc la France à redevenir un régime vraiment parlementaire où les décisions doivent être davantage discutées et « parlementées » et non exécutées sous les ordres de la Présidence.

Enfin, s’il est vrai que la cohabitation ne permet pas de prendre des Lois en quelques jours ou semaines (comme on s’y est trop malheureusement habitué ces dernières décennies) parce que les procédures peuvent être plus longues, nous croyons que ce ralentissement n’est non seulement pas un empêchement à l’action mais encore qu’il est un appel à la réflexion et à la tempérance. N’en-a-t-on pas assez de ces normes votées en urgences et en réactions hypodermiques sans que la réflexion et l’opposition puissent réellement s’y faire entendre ? Ici, comme dans tous les services publics administratifs (l’hôpital (hors urgences), la Justice ou encore l’Université et l’éducation nationale au sens large pour ne parler que d’eux), on a besoin de temps pour soigner avec humanité, pour juger sans précipitation et en collégialité, pour chercher en indépendance et enseigner sans pressions. De même, les Lois et les parlementaires, en particulier, ont-ils besoin de temps et de considération.

Oui au respect du Droit, du Parlement et du Temps ! Oui, à la cohabitation.

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