Le « Vivre »
ou plutôt le
« Mourir ensemble »
entre Laïcité & Égalité

des carrés confessionnels

Le présent commentaire de CE, [req. 448930] 15 juillet 2022, X. contre Ministère de l’Intérieur ; (légalité questionnée des carrés confessionnels) ; [J2022-CE-448930] s’inscrit dans la 6e des chroniques Laïcité(s) du présent site. Les présentes observations ont été rédigées par le Pr. Touzeil-Divina en son seul nom. Elles n’engagent en rien le LAIC-Laïcité(s) ni ses membres. Il s’agit d’une opinion personnelle et subjective assumée.

par Mathieu TOUZEIL-DIVINA, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, membre du Collectif L’Unité du Droit, membre du LAIC-Laïcité(s) [photo UT1 ©]

Cet été, un arrêt du Conseil d’État est presque passé inaperçu des radars contentieux et médiatiques[1] : la décision (de rejet) du 15 juillet 2022, X. contre Ministère de l’Intérieur. Son requérant, « ancien adjoint au maire de sa commune de résidence » (Voglans, en Savoie), avait pourtant prévu, à grand renfort de courriels et de sollicitations, le ban et l’arrière-ban des défenseurs de la Laïcité (de tous bords et de toutes obédiences) jusqu’aux plus extrêmes. Sur le site internet « riposte laïque » (qui ne cache pas ses valeurs patriotes), ledit requérant avait à plusieurs reprises annoncé la couleur de ses ambitions et sa volonté contentieuse.

En 2020, déjà, il avait écrit au Président de la République – parallèlement au lancement du projet de norme dite « séparatisme » qui aboutira au vote de la Loi du 24 août 2021[2] – pour lui demander de mettre un terme « au séparatisme musulman dans les cimetières ». Il expliquait alors :

« Puis-je, dans le sillage de vos déclarations, solliciter une intervention de votre part auprès du ministre de l’Intérieur afin qu’il retire la circulaire du 19 février 2008[3] qui, très illégalement, vient en soutien du séparatisme musulman lorsque celui-ci refuse l’inhumation des adeptes de l’islam parmi les défunts non musulmans ; séparatisme communautaire qui exige, de manière de plus en plus pressante, la création de carrés confessionnels musulmans dans les cimetières de France ; ce que la loi interdit pourtant depuis le 14 novembre 1881 » ?

Deux éléments justifient ainsi, la requête du citoyen : juridiquement, il entend dénoncer l’illégalité (au regard de la Loi du 14 novembre 1881[4]) de la circulaire préc. de 2008 relative aux « carrés confessionnels » dans les cimetières de la République et, politiquement, il se fonde sur ce qui lui apparaît comme un activisme séparatiste de la part d’une seule communauté religieuse qu’il entend dénoncer. Comme on pourra s’y attendre, sur un site comme le nôtre, on ne prendra part à l’échange seulement politique et mu par des valeurs non partagées consistant à faire d’une religion (l’Islam) la créatrice de tous les maux comme si les carrés confessionnels en France ne posaient de difficultés que lorsqu’ils seraient musulmans. Si la question mérite d’être traitée (et elle le mérite) ce n’est pas au regard d’un culte mais bien à l’instar de toutes les religions sans aucune distinction ni préférence ou dégoût. Les relents qui émanent des commentaires laissés sous la « lettre ouverte » du requérant ont d’ailleurs de quoi inquiéter y compris pénalement.

L’homme justifiait enfin sa démarche en dénonçant, à ses yeux, une action française (sic) renvoyant à l’importation d’une vision toute canadienne, celle des « accommodements » « présentés comme raisonnables mais en réalité surtout irresponsables ». En effet, à ses yeux, la circulaire demandait « aux préfets de pousser les maires à violer la loi fondée sur la neutralité de la République [en] imposant l’inhumation des défunts sans distinction de culte et de croyance ; cela pour « faire droit », comme il apparaît en page 8 de cette circulaire, aux exigences des populations issues de l’immigration ». Au nom du « vivre » et en fait du « mourir » ensemble, la Laïcité et la neutralité religieuse des cimetières s’effaceraient.

N’ayant pas obtenu de réponse favorable (et en fait de réponse tout court) à ses sollicitations, le requérant a directement contesté devant le Tribunal administratif de Paris, le 10 septembre 2020, la légalité de la circulaire précitée et ainsi requis « l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a rejeté sa demande tendant à l’abrogation des chapitres 3 et 4 de la circulaire du 19 février 2008 de la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, relative à l’aménagement des cimetières et au regroupement confessionnel des sépultures ». Toutefois, a priori mal conseillé, le « simple citoyen » comme il se qualifie volontiers avait commis plusieurs erreurs contentieuses que la juridiction administrative va énoncer (I). Partant, il faudra attendre un autre contentieux pour qu’un jour, peut-être, soit véritablement questionnée de façon juridique (et non politique) la légalité – effectivement douteuse – de la circulaire litigieuse (II).

I. Des erreurs contentieuses cumulées
rendant le débat laïque repoussé

Le requérant (par différents supports médiatiques et sociaux) se réjouissait déjà d’annoncer une prise de position – qu’il espérait ferme – du Conseil d’État concernant sa dénonciation de la circulaire litigieuse. Ainsi, annonçait-il (notamment sur le site Internet précité) :

« Demain, 16 juin 2022, le Conseil d’État examinera, en son audience de 9 h 30, ma requête visant à l’annulation des chapitres 3 et 4 de la circulaire du 19 février 2008, par laquelle le ministre de l’Intérieur demande aux préfets de pousser les maires à accepter, illégalement, la création de carrés confessionnels, notamment musulmans, dans les cimetières de la République, au nom d’accommodements dits « raisonnables » avec la population issue de l’immigration ».

Qualifiant de « demande séparatiste à motivation religieuse », la pression que ferait, selon lui, subir le culte musulman à la République, le requérant se rassurait quant à l’avenir contentieux de sa demande en citant de façon performative la position du gouvernement dans l’affaire, plus médiatisée encore, des burkinis autorisés dans les piscines municipales grenobloises (ayant donné lieu à la matérialisation du premier des « déférés Laïcité » issus de la Loi préc. du 24 août 2021 ainsi qu’à la décision[5] CÉ, Ordo., 21 juin 2022, Commune de Grenoble ; req. 464648). En effet, lors de l’audience du 14 juin précédant l’énoncé de ladite ordonnance, le ministère de l’Intérieur avait assuré qu’il s’agissait « de parler de l’adaptation d’une règle d’un service public aux seules fins de satisfaire des intérêts religieux ; ce qui porte atteinte à son principe de neutralité et de laïcité ». Selon le requérant, il allait en être de même dans « son » affaire. Toutefois, pour un motif régularisable (A) puis pour un refus d’intérêt à l’action contentieuse (B), la quête laïque du patriote va s’évérer plus longue et compliquée que prévue.

A.   Une fausse compétence territoriale surmontée

Il faut dire que tout avait mal commencé devant la juridiction administrative puisque l’homme alors qu’il contestait un refus ministériel (non restreint à une circonscription territoriale donnée correspondant au ressort de compétence d’un Tribunal administratif mais à vocation nationale) s’était dirigé vers le Tribunal administratif de Paris, pensant sûrement que cette juridiction était compétente puisque le ministère de l’Intérieur a son siège dans la capitale. Toutefois, l’art. R311-1 du Code de Justice Administrative est explicite :

« Le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (…) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ».

L’acte attaqué, le refus ministériel d’abroger une partie de la circulaire du 19 février 2008 en ce qu’elle encourage les maires à[6] « favoriser, en fonction des demandes, l’existence d’espaces regroupant les défunts de même confession » relevait donc manifestement de la compétence, en premier et dernier ressort, du Conseil d’État.

Heureusement, « par une ordonnance n°2014479/12-1 du 19 janvier 2021, enregistrée le 20 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d’État » la requête enregistrée à tord devant le premier. Il s’agit là de l’application habituelle de l’art. R. 351-2 du Code de justice administrative selon lequel lorsqu’un juge administratif dit du fond est saisi « de conclusions qu’il estime relever de la compétence du Conseil d’État, son président transmet sans délai le dossier au Conseil d’État qui poursuit l’instruction de l’affaire. Si l’instruction de l’affaire révèle que celle-ci relève en tout ou partie de la compétence d’une autre juridiction, la chambre d’instruction saisit le président de la section du contentieux qui règle la question de compétence et attribue, le cas échéant, le jugement de tout ou partie des conclusions à la juridiction qu’il déclare compétente ».

Rien de grave, donc, seulement quelques mois de perdus pour régulariser la compétence juridictionnelle « sans délai ».

B.   Un intérêt à l’action refusé

Devant le juge territorialement compétent, cependant, le requérant va subir une nouvelle déconvenue en ce que le Palais royal va refuser d’admettre son intérêt à l’action contentieuse. Effectivement, il semblerait là encore que l’homme ait été mal conseillé en présentant dans sa requête les éléments justifiant de son intérêt à agir.

Effectivement, il semblerait que le requérant (mais nous n’avons pas eu accès au dossier donc nous ne pouvons que l’imaginer au regard de la réponse juridictionnelle) ait seulement fait état d’un intérêt vague ou indirect à la contestation contentieuse et non du grief que lui causerait directement la circulaire en ce qu’il serait par exemple lui-même usager d’un cimetière (dans lequel il pourrait se rendre) organisant ou proposant des carrés confessionnels. Arguant seulement de ce qu’il serait un « simple citoyen » (sic) et même un « ancien adjoint au maire de sa commune de résidence » singulièrement « attaché à la neutralité des cimetières », le Conseil d’État a su profiter de ce faible intérêt démontré à l’action pour rejeter la demande :

« ni la qualité de citoyen invoquée par le requérant ni celle d’ancien adjoint au maire de sa commune de résidence[7], ni la circonstance qu’il se dise attaché à la neutralité des cimetières ne suffisent à lui donner intérêt à demander l’annulation des dispositions critiquées de la circulaire (…). Par suite, sa requête qui est irrecevable, doit être rejetée ».

En matière de recours en excès de pouvoir, comme en l’espèce, on sait pourtant qu’il arrive au juge administratif d’accueillir très largement les intérêts à l’action contentieuse parfois même un tantinet capillotractés. On se souvient ainsi, il y a presque un siècle, de cet adepte du camping[8] admis à l’action en annulation contre un arrêté municipal d’une autre commune que celle de sa résidence mais dans laquelle il avait fait état de ce qu’il pourrait éventuellement se rendre. Plus récemment[9], on a également admis de façon « généreuse » l’intérêt à l’action d’un ancien magistrat administratif sexagénaire, qui se disait surfeur, pour venir contester le refus de préfets bretons (alors que le requérant ne résidait pas en Bretagne et qu’il n’y pratiquait donc pas le sport sus évoqué)… de mettre en œuvre des contraventions de grande voirie protégeant le domaine public maritime à la suite du naufrage et de la pollution du navire Erika.

Certes, on entend bien que la « qualité » – trop générale – de citoyen fut-il éclairé ou sensible aux questions de Laïcité (comme celle de contribuable au niveau étatique[10]) ne suffise pas à emporter un intérêt direct et certain à l’action contentieuse comme celle d’ancien conseiller municipal d’une commune parmi d’autres, et – sur ce point – le requérant s’est effectivement mal renseigné mais on gage que cela a bien arrangé le juge qui n’a pas eu conséquemment à se prononcer sur le fond alors que ce dernier semble bien poser de réelles difficultés.

Carte postale (non voyagée ; circa 1906) Après la chute les dernières croix (COMBES) (illustration T. BIANCO) (coll. perso MTD)

II. Au fond, pourtant, une véritable question en suspens : la légalité fort douteuse des carrés confessionnels

Cela fait pourtant des années que la question de la légalité des carrés confessionnels (regroupant des sépultures se réclamant d’une même pratique cultuelle) est débattue et dénoncée par d’aucuns comme étant illégale au nom de la neutralité (notamment religieuse) des espaces publics (A). Pourtant, au nom d’une forme de « vivre ensemble » que le requérant assimile aux accommodements raisonnables[11] d’outre-Atlantique, le Conseil d’État et la République de façon plus générale, semblent… s’en accommoder (B).

A.   De la neutralité incontestable des espaces publics des cimetières

Certes, témoignage de la période dite concordataire, il a existé en France (et existe encore dans certains territoires[12] ayant encore échappé à l’application générale du principe de Laïcité comme en Alsace et en Moselle) des espaces funéraires organisés en fonction des cultes des familles et de ceux présumés ou assurés des défunts[13]. En 2022, ainsi, on recense encore des cimetières publics (car il faut aussi mentionner les cimetières gérés par des associations et personnes privées comme plusieurs des cimetières protestants de l’ouest de la France) musulmans (comme à Strasbourg), juifs (comme à Frauenberg-Bliesbrück), protestants (comme à Ars-sur-Moselle) ou encore catholiques (comme à Niedervisse).

Hors ces territoires exotiques au principe pourtant dit constitutionnel de Laïcité[14], l’article 15 du décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) ne s’applique explicitement plus depuis que la Loi préc. du 14 novembre 1881 y a mis un terme. Il n’est donc plus question de mettre en œuvre ces dispositions d’essence bénite et concordataires selon lesquelles :

« dans les communes où on professe plusieurs cultes, chaque culte a un lieu d’inhumation particulier. Lorsqu’il n’y a qu’un seul cimetière, on le partage par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte ».

D’ailleurs, s’il ne traite pas du fond de la question posée, le Conseil d’État a étonnamment (ou par provocation ?) pris soin de relever dans ses visas, outre la Constitution énonçant une République laïque, ladite « Loi du 14 novembre 1881, ayant pour objet l’abrogation de l’article 15 du décret du 23 prairial an XII, relatif aux cimetières » mais aussi « la Loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles » ainsi que la « Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État ».

Chacun reconnaît ainsi, tant au regard de la Constitution, que de la Loi de 1881 et même des normes législatives de 1887 et de 1905 que la Laïcité est désormais ancrée dans les cimetières républicains, au moins s’agissant de leurs espaces publics et ce, pour toute construction postérieure à 1905, en particulier.

La neutralité de ces espaces implique en conséquence que s’il est permis aux citoyens sur les sépultures dont ils ont la charge et l’entretien de faire état d’éléments et/ou de symboles religieux ou à connotation cultuelle, il n’en est plus de même, depuis plus d’un siècle, des parties communes des cimetières publics. Il en est ainsi des murs, des allées ou encore des portails de ces lieux qui, s’ils ont été construits avant 1905, doivent respecter la plus stricte neutralité[15]. C’est en l’occurrence la Loi du 5 avril 1884 qui oblige le maire à respecter et à faire respecter la neutralité, notamment religieuse mais aussi politique[16], des cimetières (cf. art. L. 2213-9[17] Cgct).

Rappelons à cet égard que la seule exception à la neutralité religieuse au sein d’un cimetière public, partie intégrante de son domaine public[18], est posée à l’art. 28 de la Loi préc. de 1905 de séparation des Églises et de l’État :

« il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières & des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ».

Par ailleurs, affirmait Aristide Briand dans son rapport sur la Loi de 1905[19], le « cimetière doit rester au point de vue confessionnel strictement neutre ».

Cela réaffirmé, l’illégalité d’une circulaire engageant les édiles communaux à respecter les éventuelles demandes cultuelles (quel que soit le culte et non comme l’affirme le requérant au regard seul de l’Islam) de formation ou de reformation de « carrés » confessionnels est a priori manifeste car elle vient heurter frontalement deux principes : la neutralité (indirectement mais réellement en permettant l’existence voire le soutien d’ères géographiques regroupant au sein du domaine public des sépultures faisant état de symboliques et de signes religieux en fonction, précisément, de ces derniers) mais aussi – et surtout – le principe d’Égalité.

En effet, ce dernier prohibe le regroupement de sépultures par « quartiers » ou « ensembles » en fonction des religions autrefois pratiquées par les défunts ou assumées par leurs proches et ce, afin que tout endroit du cimetière puisse être également accessible à quiconque. Officiellement et juridiquement donc les « carrés confessionnels » devraient être illégaux. C’est ce qui ressort explicitement de cet arrêt d’assemblée du Conseil d’État de 1938[20] aux termes duquel, s’il existait, avant 1881, un cimetière confessionnel, légal au regard de l’ancienne législation préc. de prairial an XII, son agrandissement ou la création d’un « carré confessionnel » en ce sens est totalement impossible.

B.   De la volonté politique d’un « vivre » et d’un « mourir ensemble » pacifiés

Il en va différemment, on l’a dit, des espaces privés que sont les caveaux, colombariums ou sépultures individuels ou familiaux. Sur ces espaces « privatisés » et concédés du domaine public, la Laïcité s’efface pour permettre les expressions notamment religieuses.

Pourtant, on le sait, et c’est ce qui a justifié la présente requête, des carrés confessionnels existent matériellement en République et, plus étonnant, sont même encouragés dans les circulaires précitées. Ainsi, outre des pratiques communales illégales (mais manifestement demandée par d’aucuns) de ces carrés confessionnels non conformes aux principes d’Égalité et de neutralité religieuse, plusieurs ministres de l’Intérieur ont invité[21] les maires à « user des pouvoirs qu’ils détiennent pour réserver aux Français » notamment « de confession islamique, si la demande leur en est présentée et à chaque fois que le nombre d’inhumations le justifiera, des carrés spéciaux dans les cimetières existants ».Pourtant, comme le souligne Mme Jeanne Mesmin d’Estienne[22] : « le Tribunal administratif de Grenoble a dû rappeler dans un jugement rendu le 05 juillet 1993[23], que la décision d’autorisation ou de refus d’autorisation, d’inhumer un défunt au sein d’un carré confessionnel dans un cimetière municipal ne pouvait être motivée uniquement sur le fondement de l’appartenance réelle ou supposée du défunt à une religion donnée ».

Pourquoi alors maintenir ces pratiques illégales et leurs encouragements politiques ?

A priori, ce serait parce que de nombreux administrés et élus le réclament et que les communes n’osent embarrasser les familles endeuillées avec des refus touchant aux questions intimes de la religion. Ici, ce serait une nouvelle forme de paix sociale par le « mourir ensemble » mais chacun dans ses croyances passées ou celles de ses proches, qui primerait. Le Conseil d’État dans son rapport public[24] de 2004 avait déjà témoigné de cet embarras ou de ces ambiguïtés[25] :

« l’institution de carrés confessionnels dans les cimetières n’est donc pas possible en droit. Toutefois, en pratique, ces derniers sont admis et même encouragés par les pouvoirs publics afin de répondre aux demandes des familles, de confession musulmane notamment ». La Commission dite Machelon[26] évoquait à ce propos un « enjeu majeur en termes d’intégration ».

On aura compris que l’argument social s’il est audible ne nous convainc en rien juridiquement.

Décidément, la Laïcité s’avère bien[27] « latitudinaire » lorsqu’elle s’approche notamment de la mort.


[1] A contrario : Boucault Sarah, « Regroupements confessionnels au cimetière : le casse-tête du Conseil d’État » in La Gazette des communes ; 22 juillet 2022 et Anonin Xavier, « Carrés confessionnels : le Conseil d’État botte en touche » in Résonance funéraire ; août 2022 ; p. 66. Voyez en ligne la décision sur le présent site : www.laicites.fr/J/J2022-CE-448930.pdf.

[2] Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République in Jorf n°0197 du 25 août 2021, texte n° 1. Cf. en ligne sur le présent site : Loi (dite séparatisme) [n°2021-1109] du 24 août 2021 (confortant le respect des principes de la République) ; [N-L2021-01]. On se permettra en matière associative notamment de renvoyer à nos observations : « La « nouvelle » laïcité des associations : plus républicaine que la République et toujours plus latitudinaire » in Loi confortant le respect des principes de la République (dossier) ; Ajct ; octobre 2021 ; n°10 ; p. 457 et s.

[3] Il s’agit de la circulaire dite Alliot-Marie du 19 février 2008 ayant pour objet la « police des lieux de sépulture : Aménagement des cimetières – Regroupements confessionnels des sépultures » ; NOR/INT/A/08/00038/C ; texte faisant suite aux actes ministériels des 28 novembre 1975 et 14 février 1991 ainsi abrogés. La dite circulaire se trouve par ailleurs en ligne sur le présent site à l’adresse :

http://www.laicites.fr/N/N-PR2008-01.pdf.

[4] Cette norme (Loi du 14 novembre 1881 dite loi sur la neutralité des cimetières) contient un article unique abrogeant l’article 15 du décret du 23 prairial an XII (sur lequel on reviendra ci-après) qui ordonnait la création, dans les cimetières publics, d’espaces et de regroupements funéraires en fonction des cultes. La norme se trouve par ailleurs en ligne sur le présent site : http://www.laicites.fr/N/N-L1881-01.pdf.

[5] Req. 464648 avec les commentaires de deux observateurs : M. Clemmy Friedrich et M. Vincent Cressin sur le présent site Internet du Laic-Laïcité(s). Quant à la décision, elle est également en ligne ici :

http://www.laicites.fr/J/J2022-CE-464648.pdf.

[6] tout en précisant de manière paradoxale sinon schizophrénique qu’il s’agira de prendre « soin de respecter le principe de neutralité des parties communes du cimetière (sic) ainsi que le principe de liberté de croyance individuelle ».

[7] Sur le site Internet précité, le requérant relève : « J’ajoute par ailleurs que, contrairement à ce que mentionne le Conseil d’État, je n’ai jamais été adjoint au maire ni ne me suis prévalu de cette qualité pour justifier de mon intérêt à agir… » !

[8] Cf. CÉ, Sect., 14 février 1958, Abisset ; Rec. 98.

[9] Cf. CÉ, 30 septembre 2005, Henri Cacheux ; à son propos : Touzeil-Divina Mathieu & Roche Catherine, « Sur la plage abandonnée … Cabanage et pétrolier » in Lpa ; n° 112 ; 05 juin 2006 ; page 12 et s.

[10] Cf. CÉ, 23 novembre 1988, Dumont ; Rec. 418.

[11] À leur propos : Gründler Tatiana, « La théorie des accommodements raisonnables et sa réception en France » in Délibérée, 2017, n°02 ; p. 60 et s.

[12] Ainsi que parfois outre-mer : cf. Guillaumont Olivier, « Laïcité et droit des cultes outre-mer » in Rjp, n° 1-2007, p. 53 et s.

[13] Le maintien de leur légalité a par exemple été affirmé in CÉ, 13 mai 1964, Eberstarck ; req. n° 53965.

[14] On renvoie ici à notre critique in Dix mythes du droit public ; Paris, Lextenso ; 2019.

[15] Sur un contentieux en traitant, il faut citer : CÉ, avis, 28 juillet 2017 ; n°408920 (avis relatif au cimetière de Prinçay) & nos obs. (en collaboration) in « Transformation(s) du service public – 1ère chron. » in Jcp A ; n°07 ; 19 février 2017 ; p. 44 et s.

[16] Voyez en ce sens : CÉ, 14 novembre 2011, Association amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française.

[17] Selon lequel : « sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort ».

[18] Comme l’a notamment (mais pas seulement) affirmé le juge in CÉ, 8 juin 1935, Marécar : DP 1936, III, 20, concl. Latournerie, note Marcel Waline.

[19] Assemblée Nationale, débats, séance du 28 juin 1905.

[20] CÉ, Ass., 17 juin 1938, Veuve Derode ; Rec. 549 ou CÉ, 18 août 1944, req. n° 69731, Lagarrigue. Plus récemment : voyez la réponse ministérielle n°36347 in JoAn du 25 mars 1991, p. 1233.

[21] On cite ici la circulaire du 28 novembre 1975.

[22] Au Traité des nouveaux droits de la mort ; (dir. Touzeil-Divina, Bouteille-Brigant & Boudet) ; Le Mans, L’Épitoge ; 2014; Tome I ; p. 228.

[23] TA Grenoble, 05 juillet 1993, Époux Darmon : Req. n° 922676 ; Jcp G, 1994, I, 22198, note Xavier Prélot.

[24] Conseil d’État, Rapport public – Un siècle de laïcité ; Paris, Edce ; 2004 ; p. 327.

Ledit rapport figure en ligne dans la partie « doctrine » protégée et réservée à nos membres :

http://www.laicites.fr/D/D2004-CE01.pdf.

[25] A pari : Seban Didier & Vasseur Jean-Louis, « Carrés confessionnels : la quadrature du cercle » in La Gazette des communes ; 8 novembre 2010 ; p. 54 et s.

[26] Machelon Jean-Pierre (dir.), Rapport de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics ; Paris, 2006 ; p. 60 et s.

[27] Ce que nous avions notamment développé in : « Un principe latitudinaire et non constitutionnel de laïcité » in Mouannès Hiam (dir.), La territorialité de la laïcité ; Toulouse, Put1 ; 2010 ; p. 45 et s.

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