Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques décisions de la jurisprudence administrative.
Voici un extrait du prochain numéro :
CE, 12 février 2020, M. A. (418299)
Au nez et à la barbe des juges du fond, le Conseil d’Etat rappelle (enfin) qu’en soi porter la barbe n’est ni illégal ni contraire au principe de Laïcité
Que le premier ministre et les barbus (dont l’auteur de ces lignes) lecteurs du Jcp A se rassurent : ils peuvent continuer de laisser croître des poils sur leurs visages sans craindre qu’on les qualifie d’intégristes religieux ! C’est en effet le sens de la décision du 12 février 2020 en cassation d’un arrêt signalé à propos duquel nous nous étions déjà exprimé (cf. dans cette revue nos obs. sous CAA de Versailles, 19 décembre 2017 (15VE03582) in JCP A 2018 ; n°02 ; 14 et s.) lorsque la Cour administrative d’appel de Versailles avait osé affirmer – en droit – et dans cette même affaire qu’en soi l’existence d’une barbe « particulièrement imposante » matérialiserait une « appartenance religieuse » contraire au principe républicain et dit constitutionnel de laïcité. Heureusement, le Conseil d’Etat n’a pas suivi ici les juges versaillais du fond et on ne peut que l’en féliciter.
La Laïcité n’est pas une négation des religions et de ses expressions. Elle est simplement l’expression d’une neutralité de la puissance publique envers les phénomènes religieux. Or, cette neutralité n’est ni complaisante ni offensive comme d’aucuns le plaident encore trop fréquemment. Ainsi la Laïcité d’un service public comme celui d’un hôpital n’impose-t-elle pas aux usagers et aux personnels d’être non-croyants ni ne présume-t-elle d’appartenance religieuse sur de seules considérations esthétiques, vestimentaires ou d’apparence. En ce sens, réaffirmons-nous aux côtés de cet arrêt de cassation, quelle que soit sa taille, une barbe ne peut « être regardée comme étant par elle-même un signe d’appartenance religieuse » conséquemment contraire au principe de Laïcité. Deux éléments méritent alors ici d’être soulignés : l’existence d’une discrimination physique (plus que religieuse) et l’affirmation du principe de Laïcité à l’hôpital.
La condamnation d’une discrimination plus physique que religieuse
Quels étaient alors les faits ?
(…)
Il faut dire que les actuels gouvernants eux-mêmes n’ont pas vraiment aidé la juridiction administrative et le retour à la sérénité. A cet égard, souvenons-nous des déclarations hallucinantes du ministre de l’Intérieur d’octobre 2019 lorsqu’il expliquait (devant plusieurs commissions parlementaires à l’Assemblée Nationale comme au Sénat) que, parmi les signes de radicalisation des islamistes, il fallait être particulièrement sensible à la barbe. Ces mots ont provoqué le dégoût puis l’hilarité de nombreux citoyens qui les ont dénoncés et raillés sur les réseaux sociaux, au moyen du hashtag #SignaleUnMusulman, dénonçant à ce titre plusieurs dangereux barbus comme le premier ministre Edouard Philippe, l’ancien président du parti des Républicains, Laurent Wauquiez ainsi que de nombreux hipsters !
La barbe, seule, n’est pas et ne doit pas être perçue comme un dangereux signe religieux incompatible avec la Laïcité des services publics. Rappelons d’ailleurs, à ce sujet, que la barbe et les moustaches ont même parfois été imposées dans des ports uniformes d’agents publics (on renvoie sur ce point à notre article précité).
L’affirmation du principe de Laïcité comme une neutralité
et non comme une offense aux religions
Au point deux de son arrêt, le Conseil d’Etat affirme donc que « s’ils bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre du service public ». Ainsi, après avoir rappelé ce double principe (liberté de religion et Laïcité), le juge va immédiatement préciser que s’il est évident qu’un agent public ou assimilé (comme un stagiaire en l’espèce) se doit de ne pas faire état – en service – de convictions religieuses et de prosélytisme ce qui serait contraire au principe de Laïcité, le seul fait d’être barbu même si l’agent est effectivement musulman (car c’est bien de cela dont il s’agit) n’est pas contraire à l’exigence de Laïcité du service public hospitalier.
(…)
Ces « seuls éléments » (le port d’une barbe) – et l’on s’en réjouira – ne sont donc pas suffisants à caractériser une atteinte au principe de Laïcité car cette dernière n’est pas une offense ou un blasphème envers les religions. La Laïcité n’interdit pas aux musulmans de croire et encore moins d’exister au sein de nos services publics comme usagers ou comme agents. Elle les accueille comme elle intègre et reçoit les catholiques ou les non-croyants.
La Laïcité est neutralité. Elle accueille indifféremment sans préférence ni discrimination.
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