Chez Foucart vous propose un compte-rendu d’ouvrage paru dans Droits & Cultures et accessible en ligne ici : Touzeil-Divina Mathieu, « Du cri des vautours …Note de lecture à propos d’Anatomie de la rumeur de Cass R. Sunstein », Droit et cultures [Online], 65 | 2013-1, URL : http://droitcultures.revues.org/3118. L’article étant librement accessible, nous pensons qu’il est peut être temps de le diffuser ici également. Il paraît même qu’il fera du bien à d’aucun.e.s.
Il porte donc sur : « On rumors : how Falsehoods spread, Why we believe Them ; What can be Done » ; Farar, Straus & Giroux; New-York ; 2009; Préface de Fabrice Clement ; Postface de Stéphane Werly ; Traduction de Patrick Hersant ; Editions Markus Haller ; Genève ; 2012.
Nota bene : la présente note de lecture dépasse le cadre strict et habituel du compte rendu d’ouvrage afin de poursuivre certaines des pistes avancées par l’auteur. L’opus a en effet été le prétexte à l’engagement d’une réflexion plus générale qu’il a permis de susciter :
Du cri des vautours …
Note de lecture à propos d’Anatomie de la Rumeur de Cass R. Sunstein
Quiconque a déjà travaillé au sein d’une microsociété humaine à l’instar d’une Université (modèle qui servira d’exemple filé à notre travail) ne peut que s’intéresser à l’ouvrage puissant de Cass R. Sunstein (professeur de Droit, juriste et par ailleurs administrateur des affaires juridiques de la Maison Blanche dans l’équipe du président Obama) ; opus enfin traduit de l’américain par Patrick Hersant et édité par la dynamique maison d’éditions helvétique de Markus Haller (Genève ; 2012). Quiconque a été l’objet de rumeur(s) ou – en le sachant ou non – en a permis la diffusion y trouvera en outre un intérêt majeur à décortiquer cette Anatomie de la rumeur. L’ouvrage analyse en effet le phénomène sous tous ses angles en proposant même quelques pistes pour l’enrayer. Tout d’abord, on s’entendra pour qualifier avec l’auteur et considérer comme « rumeur » : « une affirmation factuelle – concernant une personne, un groupe, un événement, une institution – dont la véracité n’a pas été prouvée ; transmise d’un individu à l’autre, cette affirmation tire sa crédibilité non pas de quelque preuve directe, mais du simple fait que les autres semblent y ajouter foi » (p. 29). Cette rumeur peut détruire – chacun le sait – et personne mieux que Gioachino Rossini ne l’a aussi bien traduit en musique lorsqu’il fit chanter à Don Basilio son air célèbre : « La calunnia è un venticello » (Il barbiere di Siviglia, Acte I, Scène VIII). La rumeur plie, détruit, ravage … lorsque personne ne l’arrête et que ses propagateurs (pour reprendre l’expression traduite de l’auteur ; p. 39) sont malveillants.
La rumeur grandit car elle fait résonner (et hélas non pas raisonner) ses propres émotions. Tel est bien le premier enseignement de l’ouvrage de Sunstein. L’auteur nous permet de réaliser que si une rumeur « fonctionne » c’est-à-dire s’ancre et prend de l’ampleur, c’est bien souvent soit parce qu’elle accrédite un état ou un préjugé qui arrange ou accommode celui ou celle qui la reçoit (et la propagera par la suite) ; soit parce que l’information prétendument comprise dans la rumeur va venir – in fine – servir ou recouper les intérêts de celui ou celle qui en est le récepteur. Ainsi, lorsqu’on prétend – par simples « on-dit » – qu’untel aurait « piqué dans la caisse » et qu’il s’avère que je n’aime pas le sujet de cette rumeur, il y a fort à parier que cette « information » m’arrange ou au moins m’y rende très réceptif. La rumeur, explique Sunstein, nous permet de croire le monde tel que nous voudrions le voir en fonction de nos ambitions et de nos envies ; de nos ressentis et – bien évidemment – de nos croyances y compris celles qui nous effraient. « Le crédit que nous accordons à une rumeur, repose » bien souvent « sur la peur ou sur l’espoir » (p. 30). Même si elle est objectivement ridicule ou matériellement quasi impossible, la rumeur pourra « fonctionner » si le public qui la reçoit peut faire vibrer ses propres émotions avec elle. Ainsi, à l’Université d’Y, on a dit du professeur X qu’il buvait du sang frais et pratiquait des messes sataniques et satanistes ce que sa lecture assidue d’ouvrages de bit-lit accréditerait ! Pour rester sur la thématique vampirique, souvenons-nous à cet égard que même s’il est objectivement entendu de tous que ces êtres n’existent pas, c’est encore périodiquement que des rumeurs invoquant leur passage refont surface et ce, y compris parfois par le biais de médias sérieux (ainsi qu’il en fut même du Times dans son édition du 10 janvier 1973). Et que dire de ceux qui nient la Shoah lorsque faits et témoignages accablent de son existence ? Fût-ce irréaliste et irrationnel, la rumeur s’enracine car elle fait – là encore – vibrer les émotions. Et, plus la rumeur sera jugée sulfureuse, plus sa victime sera considérée comme sortant des canons de la normalité, plus elle risquera de « plaire » à ceux qui voudront la relayer. Ainsi, dire que le professeur X est d’extrême-droite ou d’extrême-gauche est bien plus stimulant pour des propagateurs de rumeur(s) que de l’affirmer cadre du Modem. D’aucuns le soupçonneront même d’être, tel Skippy, le grand gourou d’une secte ou, au moins, d’être franc-maçon. Tout motif de dégoût ou de répulsion amplifie a priori le phénomène. « Quand une rumeur produit des émotions fortes – dégoût, colère, indignation –, elle se prête plus aisément à la propagation. Heath en déduit notamment que le libre marché des idées ne fonctionne pas toujours : les rumeurs qui passent le filtre de la sélection émotionnelle « ne sont pas nécessairement les plus véridiques » ». (p. 115 ; Eath Chip et alii., « Emotional selection in Memes : the case of Urban Legends » in Journal of Personnality and Social psychology; n°81; 2001; p. 1038).
Il n’y a de rumeur que s’il existe un public prédisposé à la recevoir. « Toute rumeur jouit de son propre public » expliquaient déjà Allport et Postman dans leur ouvrage The psychology of Rumor (New-York ; 1947). Reprenons le cas de M. X : il n’est pas apprécié des médiocres car il travaille beaucoup et a mis plusieurs projets en route pointant alors du doigt – sans le vouloir – l’éventuelle inactivité d’aucuns. Ces derniers, recevant une rumeur selon laquelle l’enseignant se droguerait (d’où son hyperactivité), y seront très réceptifs. La rumeur n’est fondée sur aucun élément démontré ; elle est l’antithèse du raisonnement scientifique car elle ne repose que sur les émotions (souvent les plus viles) des êtres humains. On s’étonnera conséquemment de ce qu’elle puisse prendre de l’ampleur en milieux intellectuels où les membres de ces communautés sont censés raisonner et démontrer sur pièces et preuves. Il n’en est pourtant rien ; ce sont les émotions qui guident avant tout l’homme, corruptible et perfectible, nous avait déjà mis en garde Saint Augustin. De surcroît, la rumeur est d’autant plus vouée au succès qu’elle est relayée (sinon initiée) par un « homme de confiance », un « sage » en qui les récepteurs / propagateurs vont placer toute leur confiance. Ainsi, pour filer l’exemple académique, la rumeur que l’on reçoit de l’ancien doyen ou Président a-t-elle toute chance de prospérer. Si ce dernier prétend que X a été l’objet – par son comportement violent – de nombreuses plaintes de la part d’étudiants et de collègues et ce, même si aucune plainte n’a évidemment été déposée, la parole mandarinale va s’imposer.
Ainsi va la rumeur résonnant d’émotions en émotions et se basant, faute de vérifications, sur la confiance que l’on place en son émetteur. Lorsque mon meilleur ami m’informe de ce qu’un collègue commet des détournements de pouvoir en notant mieux les étudiantes avec lesquelles il a des « relations » hors du cadre professionnel, j’aurais tendance à le croire car il s’agit … de mon meilleur ami. Evidemment, s’il s’avère qu’en outre j’ai déjà des a priori négatifs à l’encontre dudit collègue, alors je tiendrai le fait pour quasi établi. Au fond, « certains sont prédisposés à croire telle rumeur, d’autres à la rejeter. Le même phénomène permet d’expliquer le succès des théories du complot. Si certains pensent que les attentats du 11 septembre ont été orchestrés par les Etats-Unis, ou que tel désastre économique est imputable à des banquiers juifs, c’est parce qu’au fond ces opinons les arrangent » (p. 49). Sunstein prend ensuite un exemple des plus troublants : il s’agit des expériences de Solomon Asch (p. 65 et s.). Celles-ci dépeignent l’homme comme un servile mouton qui, même lorsqu’on va lui donner une information manifestement fausse, va préférer la plupart du temps la relayer afin d’être en résonance avec son groupe social et ses leaders.
Cascades de conformité. L’auteur parle effectivement en ce sens de « cascades de conformité » impliquant que des gens « feignent de croire à une rumeur » et « s’auto-censurent ». « La pression des autres n’est » donc « pas sans conséquence ; si nous devons faire une déclaration publique, il arrive que nous préférions taire ce que nous savons » ou que nous n’affirmions pas notre méconnaissance de faits et de preuves réels et fondés, ce que Timur Kuran nomme la « falsification des savoirs » (p. 67). Alors, démontrent les expériences d’Asch, lorsqu’un groupe a émis une opinion, « pas moins de 70 % des gens se rangent à l’avis du groupe, sans tenir compte des preuves que leur fournissent leurs propres yeux ». Alors qu’objectivement et individuellement chacun reconnaîtra que cette table est rectangulaire, le groupe manipulé la verra ovale et il sera dans l’intérêt social de ses membres de la considérer comme telle et de taire ses réflexions personnelles autres. Sunstein, relève Fabrice Clément dans sa préface, « souligne que la plupart des choses que nous considérons comme vraies ne reposent » ainsi « pas tant sur une découverte personnelle que sur le témoignage d’autrui » (p. 16). Même, les rumeurs « renvoient à des affirmations qui se diffusent dans une population non parce qu’elles renvoient à des faits qui auraient été prouvés mais plutôt parce qu’elles semblent être crues par d’autres personnes » (p. 17) ! On pourra alors partiellement conclure que les émotions font en effet souvent « obstacle à notre quête de vérité » (p. 34) : « chacun de nous privilégie les informations qui confirment nos idées préconçues » renforçant ainsi tous les préjugés et non la ou les vérités (p. 90). Il conviendra toutefois, avec l’auteur, de distinguer notamment entre les rumeurs de crainte et celle d’espoirs (p. 107) dont les effets ne sont pas identiques.
La rumeur croît en éboulis. L’auteur décrit en outre à merveilles le mécanisme de propagation des rumeurs et ce, suivant deux phénomènes qu’il identifie comme étant « la cascade des informations » et la « polarisation des groupes ». En effet, propose de démontrer Sunstein (p. 50 et s.), il existerait trois groupes de personnes recevant les rumeurs et en permettant la diffusion : les « réceptifs » qui sont, dans le premier cercle, les amis et fidèles du propagateur (surtout si ce dernier jouit d’un minimum d’autorité) puis, dans un second cercle, ceux qui ont des préjugés négatifs à l’encontre de l’objet de la rumeur naissante. La rumeur existe d’ores et déjà si elle franchit le premier cercle vers le second mais tout se jouera réellement en cascades si elle réussit à toucher des éléments « neutres » puis, par suite à faire même basculer l’avis des « sceptiques » qui, initialement vont ou auraient pu s’opposer à la rumeur mais qui – devant le nombre croissant – vont l’accepter ou au moins ne pas la contrer. Devant l’avis général, ils sont susceptibles de céder. Conséquemment, pour qu’une rumeur prenne, il faut soit être dans une microsociété où, par définition, les groupes ne sont pas étoffés et où la cascade des informations se fera rapidement et presque individu(s) par individu(s) ; soit, dans une société plus grande, bénéficier d’un groupe suffisamment constitué de « réceptifs ». Ces derniers réussiront peut-être à convaincre les « neutres » et ainsi de suite. C’est ainsi que fonctionnent certains partis politiques ou syndicats et autres lobbys. On implante d’abord une idée ou une réaction / émotion vive au sein du groupe et ensuite on la développe hors du milieu réceptif originel. De surcroît, « comme la plupart des rumeurs portent sur des sujets dont les gens n’ont une connaissance directe ou personnelle, nous nous en remettons à l’avis du plus grand nombre » (p. 53). Le plus bel exemple de cette « cascade » se comprendra par chacun et au moins par tous les geeks avec l’informatique et l’Internet : « plus une vidéo a été visionnée sur Youtube », plus un blog est consulté et référencé par d’autres liens ou sur le puissant moteur de recherches « Google » ou encore relayé par des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, plus cela « attirera de nouveaux internautes » (p. 57). Ainsi se matérialise la cascade à plusieurs reprises évoquées. A cet égard, on relèvera le clin d’œil (conscient ou non ?) de l’éditeur Markus Haller qui a confié au maestro Philip Pascuzzo le soin d’illustrer l’ouvrage désormais traduit en français de Sunstein. Les très belles « Rumors » qui y sont figurées en première de couverture ont été peintes par celui qui a également créé le logotype de l’oiseau Twitter, média qui doit très certainement être l’un de ceux qui véhicule le plus (et le plus vite) de rumeurs. La boucle est ainsi faite. De surcroît, la rumeur s’amplifie en fonction de la « polarisation de groupe » qui elle-même « repose sur le phénomène suivant : quand des individus partageant les mêmes idées se réunissent pour discuter, chacun d’entre eux ressort du débat avec une version plus radicale de ses idées » (pp. 33 et 71 et s.). En effet, à l’intérieur d’un même cercle, l’échange d’informations à tendance à renforcer (et y compris à radicaliser) nos certitudes préexistantes. Cela dit, « l’intérêt des individus pour leur propre réputation peut accroître l’extrémisme, fut-ce au prix d’une forte adhésion à des rumeurs fausses, destructrices et mêmes cruelles. Chacun souhaite être bien vu par les autres membres du groupe et s’envisager soi-même sous un jour favorable » (p. 84).
La rumeur naît d’un être et d’un moment : du propagateur et de la crise providentiels. Sunstein insiste en outre sur les conditions qui vont permettre à la rumeur de croître : des conditions temporelles et humaines. Temporelles puisque, selon l’auteur, la rumeur a d’autant plus de chances de s’implanter et d’être diffusée qu’elle arrivera à un moment « clef » : celui d’une crise notamment. Plus l’homme est mal en point (c’est-à-dire déjà dans l’ambulance) et plus il est aisé de tirer sur lui ou en sa direction. Au lendemain d’une crise (un décès, un accident, un affrontement physique ou simplement verbal entre collègues, des menaces même anonymes mais rendues publiques …), les rumeurs prospèreront sur un terreau des plus fertiles : les spéculations se mettront à proliférer et l’on en jugera certaines plausibles « parce qu’elles fournissent un objet à (…) l’indignation et (…) à la fureur » (p. 45 et s.). Certains bruits servent même de « soupapes émotionnelles » : la rumeur « rationalise et soulage tout à la fois » (Allport Gordon & Postman Léo, The psychology of Rumor ; New-York, Holt ; 1947 ; p. 503). « Dans ce type de contexte instable, les gens seront particulièrement sensibles à une rumeur accusant les agissements égoïstes ou envieux de personnes » que l’on croit « influentes » (p. 46). Plus le désordre social croît, plus les rumeurs suivent la même courbe (Shibutani Tamotsu, Imprivsed news : a Sociological Study of Rumor ; Indianapolis, Bobbs-Merril ; 1966 ; p. 46).
En outre, si cette rumeur naît dans le cerveau d’un propagateur qui apparaît aux yeux d’aucuns (par exemple faibles et / ou en mal de reconnaissance(s)) comme étant digne de confiance du fait d’une certaine expérience par exemple, la rumeur en sera rapidement décuplée. Si ce propagateur initial est un homme (ou une femme) de pouvoir(s) et qu’il est animé d’ambitions, de rancœurs et / ou de jalousies, alors la rumeur gagnera d’autant en forces … Ne nous voilons pas la face, certains propagateurs ne sont animés que par le désir de détruire ou d’intimider : « ils s’appliquent à révéler puis à diffuser des bruits gênants ou nuisibles, non par intérêt ni pour défendre une cause, mais tout simplement pour blesser. Ils cherchent à nuire, inspirés par la colère », par la peur fantasmée, « par la fureur, par le désir de venger un affront réel ou supposé, motivés en cela par les circonstances ou par leur nature » (p. 42 et s.). Et ces derniers se montrent particulièrement efficaces, ainsi qu’on l’a vu et dit supra, lorsque leurs « victimes traversent une épreuve ou cherchent à comprendre ce qui leur arrive ». Le propagateur malsain jouit des malheurs des autres et s’il a une audience en tant que personnalité de confiance ou – mieux encore – en qualité de « sage », sa voix portera d’autant plus. Pour trouver grâce à ses yeux, en effet, le groupe diffusera la rumeur. Cette dernière est donc bien une fleur maléfique qui croît d’autant plus facilement que son terreau est riche en crises et en propagateurs qui apparaissent au groupe comme providentiels.
Atteintes à la Démocratie. Partant, la démonstration de l’auteur nous éclaire sur le fait que la rumeur n’est évidemment pas qu’une atteinte préjudiciable à celui, à celle ou à ceux qui en sont les objets et victimes principales. En effet, en mettant en avant l’évidence selon laquelle la plupart d’entre nous (c’est-à-dire a priori et de facto nous tous !) ne recoupons pas les informations que nous recevons soit parce que – quantitativement – nous n’avons évidemment pas le temps de tout vérifier ou faire vérifier et surtout parce que – qualitativement – cela nous arrange de prendre pour argent comptant ce qu’il nous est proposé de (re)diffuser, Sunstein révèle en quoi la multiplication des rumeurs est un témoignage direct des atteintes portées à la libre circulation des idées « réelles » et des opinions. En banalisant le fléau des rumeurs, on porte atteinte à la condition démocratique elle-même. Ainsi, même lorsqu’il est aisé de vérifier une information, on va la plupart du temps la relayer sans même procéder à une simple vérification matérielle. Alors, si l’on a dit du professeur X qu’il publiait sur Internet comme par exemple sur des réseaux sociaux des photos de lui nu ou avec des étudiants lors de soirées très arrosées, ne suffirait-il pas de procéder à une simple recherche pour constater qu’il n’en est rien ? Et, si l’on dit de X, avide de pouvoir(s), de manipulation(s) et d’argent, qu’il reçoit de multiples primes qu’il cumule à souhaits, n’est-il pas aisé de confirmer ou d’infirmer cela ? L’attribution de primes (dans l’Université au moins comme pour certaines commissions à l’instar de celle présidée par l’ancien premier ministre Lionel Jospin) étant publique, une vérification est matériellement facile à réaliser et l’on constatera sûrement que les millions de primes fantasmées à X se réduisent au néant ou à des montants symboliques (en ce sens, ladite Commission évoque frontalement les rumeurs : www.commission-rdvp.gouv.fr/benevolat.html).
Contrer la rumeur ? Ce faisant, Sunstein va également tenter de donner quelques clefs afin de se prémunir a priori des rumeurs mais surtout pour contrer a posteriori celles qui sont naissantes ou actives. Or, le premier problème auquel on doit faire face lorsque l’on est victime d’un tel phénomène est l’application de l’adage – très répandu en société(s) et là encore particulièrement arrangeant car il évite de se remettre en cause ou de discuter l’information et l’ordre établis – : « il n’y a pas de fumée sans feu ». Faute de connaissances ou d’informations personnelles, nous avons naturellement tendance à penser « qu’une rumeur n’aurait pu circuler sans être en partie fondée » (p. 28).
L’inertie est le principal propagateur des rumeurs. Ainsi qu’on l’a vu supra, même si l’on est réticent à la rumeur qui nous est proposée, il arrive que l’on se laisse emporter par elle car s’opposer au groupe et lui faire face – seul(e) – est un risque que la plupart d’entre nous ne prendra pas (ou ne pourra pas prendre). S’opposer est faire preuve de courage or – en la matière – un autre adage s’impose souvent : « Courage, fuyons » ! Aussi, peut-être qu’X ne s’est pas lui-même envoyé de lettre d’intimidations contrairement à la rumeur. Conséquemment, peut-être qu’il a souffert de ce que personne ne lui témoignait publiquement de soutien lorsqu’il a trouvé dans son casier des menaces de mort. Car, en se taisant on protège ses intérêts et cela nous l’avons tous évidemment déjà accompli. Seul (et l’on se croit toujours seul dans ces cas-là), il nous semble impossible d’affronter l’avis du groupe. A pari, celui qui va révéler une vérité, une manipulation, une ou plusieurs infractions que le groupe avait tu(e)s comme par exemple un plagiat manifeste et répété perpétré par un mandarin des Universités se verra mis sur le banc des accusés ou des ostracisés. Un groupe possède un équilibre et quiconque le brise en fait les frais. Briser une omertà est à cet égard toujours risqué et la vérité, lorsqu’elle est clamée par peu de gens contre un ensemble majoritaire, est bien souvent révolutionnaire ainsi que l’avait bien compris Antonio Gramsci (« la verità è sempre rivoluzionaria »). Dans cette situation un proverbe afghan retient avec philosophie : « Donne un cheval à celui qui dit la vérité … il en aura besoin pour courir ». Sunstein à nos yeux n’insiste pas assez sur cette caractéristique fondamentale : car le plus difficile à combattre, en matière de rumeur(s) comme de harcèlement, n’est pas l’existence de coups ou de paroles concrètes et ciblées par quelques rares personnes mais bien l’inertie que génère et peut générer un groupe social donné. En refusant d’agir (pour préserver ses intérêts) ou en se taisant par peur(s), par ignorance(s) ou tout simplement par flemmardise, nous laissons les rumeurs se répandre. Le plus douloureux n’est donc pas le cri des vautours mais le silence assourdissant de ceux qui les contemplent.
Sanctionner la rumeur ! Une fois la rumeur établie ou suffisamment implantée, comment la renverser en y apportant quelques sanctions ? Ici encore, Sunstein propose d’intéressantes pistes qui permettent de comprendre le phénomène en tentant d’en prévenir les manifestations. D’abord, il suggère d’utiliser le même media que celui qui permet la plupart du temps aux rumeurs de croître : faire intervenir un homme (ou une femme) d’autorité qui, par le crédit et la confiance qu’il véhiculera, va soutenir la personne ou le groupe objet de la rumeur en lui apportant un démenti officiel et public. Autrement dit, va s’exercer, en utilisant une « source » jouissant d’une grande crédibilité parmi ceux qui pourront la relayer, un « contre-pouvoir » qui peut, à lui seul, permettre l’évanouissement de la rumeur, celle-ci étant écrasée par la contre-émotion désormais produite. Alors, ceux qui n’osaient dire « non » aux bruits vont pouvoir rejoindre plus facilement le « sage » et amplifier le rang des opposants à la rumeur puisqu’ils sont désormais « couverts » par une « autorité ». Par suite, Sunstein étudie l’hypothèse des « correctifs » c’est-à-dire les cas où celui ou ceux qui sont victimes de rumeur(s) communiquent directement et officiellement sur les questions soulevées par les « bruits ». Rappelant ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « debiasing, c’est-à-dire la déconstruction des jugements préétablis » (p. 38), l’auteur prend l’exemple du site Internet Fight the Smears (littéralement « combattre les souillures ») qu’avait mis en place l’équipe d’Obama pour contrer la plupart des rumeurs fleurissant à propos du candidat à l’élection présidentielle américaine. Il y démontre, de fait, que l’humour et les voies détournées peuvent être une bonne façon de contrer les rumeurs. C’est, à un niveau bien différent on en conviendra, également la technique qu’avait adoptée la chanteuse Dalida par sa chanson : « C’est vrai » ! L’humour ou la confection quasi thérapeutique d’un objet (ou d’un article même) sont en effet des moyens utiles pour canaliser et mépriser les rumeurs les plus irrationnelles. L’existence de sites Internet à l’instar du célèbre hoaxbuster.com en témoigne. Mais, en matérialisant de tels démentis, souligne Sunstein, les effets sont parfois pires encore que l’absence de communication(s) car ils ravivent chez d’aucuns le sentiment véhiculé par l’adage « pas de fumée sans feu ». Il y pourra donc s’agir de « correctifs contre-productifs » (p. 93 et Brendan Nyhan et Reifler Jason, « When corrections fail : the persistence of political misperceptions » ; 2008 ; manuscrit cité par l’auteur).
Enfin, Sunstein évoque les moyens juridiques (et notamment constitutionnels en droit américain) de contrer et de « punir » les rumeurs. C’est ce qu’il appelle le « chilling effect » (l’effet d’intimidation) et il encourage en ce sens (pour éviter la banalisation des rumeurs en tant qu’atteintes aux principes démocratiques) l’utilisation, lorsque cela est possible, de l’ensemble des moyens juridiques existants : il faut savoir porter plainte, demander réparations et faire intervenir le Droit et la Justice.
Toutefois, et c’est là l’une de nos critiques principales à l’ouvrage commenté, l’auteur prend alors l’hypothèse de rumeurs publiées (sur support papier ou par exemple virtuelles au moyens de blog(s)). Or, même s’il n’est pas toujours évident d’obtenir de la Justice (particulièrement – et à juste titre – protectrice de la liberté d’expression) que soit retirée une assertion fausse ou diffamatoire, l’hypothèse concrète est envisageable (fût-elle non aisée). En revanche, à quoi sert-il d’invoquer la Justice et le Droit, l’intervention d’une sanction et d’une Juridiction, lorsque la rumeur – la plus terrible qui soit – n’est pas écrite mais simplement murmurée et susurrée ; qu’elle est sourde et dévastatrice sans reposer sur des supports matériels concrets ? Cette rumeur, celles des « on-dit » est bien plus difficile à combattre car elle a l’intelligence vile et manipulatrice de ne pas être matérialisée. Pourtant, ses ravages sont parfois bien plus grands. Ainsi lorsque l’on dit du professeur X qu’il est pédophile, il n’y a pas besoin qu’un blog le proclame de façon directe pour que le mal soit fait. En outre, même si la postface de notre collègue le professeur Werly (p. 175 et s.) et la quatrième de couverture insistent sur la manière dont Sunstein utilise le droit constitutionnel comme une arme efficace contre la rumeur, on doit avouer avoir été déçu par la faible teneur des propositions effectuées. Certes, elles ne concernent pas le système français (mais américain) de garanties des droits fondamentaux, mais l’on aurait pu (et aimé) d’un juriste, professeur de Droit comme l’auteur (enseignant aux Universités de Chicago et Harvard) qu’il participât à une démonstration plus soutenue en la matière. Certes, l’ouvrage ne s’intitule pas « droit de la rumeur » et c’est la raison pour laquelle notre critique est davantage un souhait qu’un reproche. On aurait apprécié un examen juridique plus poussé de la question. Toutefois, dans le présent ouvrage comme dans celui de Philippe Aldrin (Sociologie politique des rumeurs ; Paris, Puf ; 2005), la rumeur est solidement et rigoureusement étudiée en tant que réel objet scientifique. Y sont en effet sollicités, outre le droit public et les libertés fondamentales, le droit constitutionnel et bien entendu les questions, plus personnelles, de morale(s).
Un essai sur l’Homme et sa condition démocratique. Quoi qu’il en soit, l’étude de Sunstein permet de saisir la condition démocratique dans sa réalité car son analyse dépasse bien largement le seul phénomène mécanique de la rumeur. En décortiquant cette dernière, l’auteur nous montre comment se concilient la liberté d’expression et la répression potentielle de ses dérives inévitables. Il y s’agit d’éprouver la démocratie et de constater qu’en la matière tout ne dépend pas des autres comme cela nous arrange naturellement de le croire mais de nous-même et de notre courage individuel
Comments are closed