Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici un extrait du prochain numéro :
CE, 28 décembre 2017, A. & Mousse & alii (400580, 414973)
Don du sang : pas de discrimination in abstracto pour les homosexuels… abstinents !
C’est encore une affaire médiatique que celle dont le résumé est ici présenté. Sachant d’ailleurs bien qu’il serait « attendu » et qu’il verrait son arrêt singulièrement « ausculté » et décortiqué notamment par les associations requérantes, le CE en a produit une décision très fournie et qui se veut la plus pédagogue et détaillée. L’arrêt avait à se prononcer, en excès de pouvoir contre l’arrêté ministériel du ministre des affaires sociales et de la santé du 05 avril 2016, sur les critères retenus en France de sélection des donneurs de sang. Pour mémoire, que va d’ailleurs réactiver la juridiction, autrefois les hommes homosexuels (ce qui impliquait une double discrimination) étaient – par « nature » – exclus du don du sang. Désormais, dispose la réglementation, ne seraient écartés de ce don, car porteurs de risques forts de transmissions de sangs contaminés, « que » les hommes homosexuels ayant eu, au moins, un rapport sexuel pendant les douze derniers mois. Autrement dit : la norme ne serait pas discriminatoire car les hommes homosexuels s’ils sont abstinents peuvent donner leur sang ! Passons de suite sur l’idée d’un droit au bonheur et à l’épanouissement sexuel ici totalement ignoré (ou inconnu) des juges qui se sont prononcés et venons en aux arguments déployés. Sous couvert et au visa des plus importantes normes internationales et nationales (Constitution, TFUE, Charte des droits fondamentaux, Cesdhlf), le CE – reprenant même la jurisprudence de la Cjue du 29 avril 2015 (Geoffrey Léger) mettant en avant les distinctions temporaires et définitives entre individus à « risque élevé » et à « risque moins élevé » (sic) – à commencer par rappeler que la Loi (art. L 1211-6-1 du code de la santé publique) affirmait effectivement que « nul ne peut être exclu du don du sang en raison de son orientation sexuelle » mais il a manifestement interprété ce texte de façon bien restrictive en estimant, comme le gouvernement, que l’orientation sexuelle n’avait rien à voir avec les pratiques éponymes ! Le juge estime donc ici que la sexualité s’entend d’abord comme courtoise, platonique, théorique sinon virtuelle. Bien sûr, le CE ne se contente pas de cette « vision » ou « a priori » pour fonder son refus d’annulation de l’arrêté.
(…)
Et pourtant : ne pouvait-on pas émettre une autre opinion ? Si tout don de sang est précédé d’un entretien avec un personnel de santé qui va pouvoir évoquer personnellement avec le donneur sa sexualité et conséquemment aborder la réalité de risques élevés ou non, in concreto, n’est-ce pas faire offense auxdits personnels de santé et aux donneurs que d’affirmer qu’ils ne peuvent donner in abstracto ? Ce qui est ici discriminatoire ce n’est pas d’écarter du don du sang les donneurs à risque (cela s’entend et est évident) mais d’interdire a priori et in abstracto sans tenir compte de chaque cas une population ainsi pointée du doigt et mise au ban du don du sang parce qu’elle est masculine et homosexuelle.
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