Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative.
En voici un extrait relatif à une décision médiatique et référencée :
TA de Châlons-en-Champagne, 16 janvier 2014, Epoux Lambert (req. 1400029)
Ultima necat. Première décision « Lambert » en référé : « oui à la vie »
La présente décision pourra être analysée sous de très nombreux angles : des points de vue éthique, médiatique, médical, administratif mais aussi en matière de contentieux administratif. D’abord, il faut remarquer la solennité avec laquelle, cette ordonnance de référé a été rendue : non seulement (ce qui est rare) en présence d’un rapporteur public (qui a conclu et sera suivi) mais encore en formation plénière avec neuf magistrats du Tribunal siégeant et délibérant. C’est comme si ledit TA avait voulu faire corps avec la décision prise et ce, face à sa gravité. La question posée au juge était effectivement des plus sensibles et des plus attendues. Une partie (dont les parents) de la famille d’un patient tétraplégique – placé dans un état dit pauci-relationnel et recevant une alimentation et une hydratation artificielles – s’était opposée le 13 janvier 2014 à la décision médicale prise le 11 janvier par un chef de service du CHU de Reims de mettre un terme à l’alimentation et à l’hydratation du patient ce qui aurait inévitablement conduit au décès de ce dernier (ce qued’aucuns nomment une euthanasie passive). Ni la famille du patient ni la communauté médicale ne soutenaient alors de position unanime et, surtout, le patient n’était pas placé dans une situation lui permettant de faire état de sa volonté. La décision des juges était donc très attendue et, par les effets qui auraient été les siens si le TA s’était prononcé en faveur de l’administration hospitalière, on comprend que les juges aient désiré matérialiser une telle solennité. Ce n’est en effet et heureusement pas ordinaire que la vie d’un homme dépende du juge administratif. D’abord, le Tribunal a – ce qui n’était pas douteux – confirmé que les conditions de l’art. L 521-2 CJA étaient bien remplies (en présence d’une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, tel que garanti notamment par l’art. 02 de la Convention EDH). Par suite, les juges ont rappelé plusieurs des dispositions jugées applicables du code de la santé publique (notamment les art. L 1110-5 et 1111-4 modifiés par la Loi n°2005-370 dite Léonetti du 22 avril 2005) et conclu à leur conventionalité eu égard aux garanties posées par le Législateur français. Par suite, les magistrats ont dû retenir les faits qui leur semblaient les plus significatifs. Alors, rappelant que la décision litigieuse était motivée par la volonté qu’aurait jadis exprimée le patient de ne « pas être maintenu en vie dans un état de grande dépendance » mais ce, sans désigner de personne de confiance ni rédiger de directives claires, le tribunal va retenir l’absence de « manifestation formelle d’une volonté expresse » et le fait que le patient aurait émis ce vœu hors contexte sans « être confronté aux conséquences immédiates de son souhait ». En outre, en l’absence d’un code de communication établi entre ce dernier et l’équipe médicale et la famille, il ne pouvait être fait état d’une manifestation contemporaine et expresse de volonté. Surtout, c’est la flamme de vie encore présente dans le corps du patient (en état de « conscience « minimale plus » (sic), impliquant la persistance d’une perception émotionnelle et l’existence de possibles réactions à son environnement ») qui a manifestement encouragé les magistrats à suivre la demande des requérants principaux. Et, alors que l’on peut tenter de définir juridiquement la mort comme la médicale « mort cérébrale » ou « mort de la personnalité humaine », le Tribunal a précisément voulu ici insister sur le fait que le patient était en vie car les soins et nourritures qu’il reçoit dès lors qu’ils « peuvent avoir pour effet la conservation d’un certain lien relationnel, n’ont pas pour objet » de le maintenir « artificiellement en vie ». Le traitement qui lui était administré ne pouvant être qualifié d’inutile ou de disproportionné, il ne pouvait être qualifié d’obstination déraisonnable au regard des art. précités. Au vu de ces considérations, les magistrats ont prononcé la suspension de la décision médicale mais refusé, s’agissant d’un référé, de faire droit à la demande de transfert du patient. On imagine que la prise de cette décision – sous le feu des médias et le déchirement de la famille – n’a pas été des plus simples. Elle impose à chacun, y compris à son commentateur, de se positionner dans un débat éthique des plus sensibles sur le sens de ce qu’est la mort (à son propos, on renverra le lecteur au site http://droitsdelamort.com qui présente un futur traité et colloque dits des nouveaux droits de la mort).
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